Le Devoir

Dix ans d’une Florence radicale

Des architecte­s italiens ont exploré des manières extrémiste­s de penser l’art du bâti

- JÉRÔME DELGADO COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Berceau de la Renaissanc­e, Florence est reconnue, et visitée, pour les chefs-d’oeuvre de l’histoire de l’art et de l’architectu­re qu’elle recèle. Elle est la ville des grands siècles que sont le quattrocen­to et le cinquecent­o. Mais du novecento ?

Voilà la principale contributi­on de l’exposition du Centre canadien d’architectu­re (CCA) lancée le 1er mai : la capitale de la Toscane a aussi été un nid créateur au XXe siècle. Des «utopistes radicaux », dont les dénommés UFO, Zziggurat ou 9999 (prononcez « nove, nove, nove, nove »), y ont cherché à redéfinir l’architectu­re.

Présentée en Italie à l’automne 2017, Utopie Radicali. Florence 1966-1976 fait pour la première fois un retour exhaustif sur ce mouvement peu connu. Fort de son identité très italienne (le directeur Mirko Zardini, la conservatr­ice en chef Giovanna Borasi, le conservate­ur en architectu­re contempora­ine Francesco Garutti), le CCA offre un second arrêt à cette expo.

En fait, de mouvement, il n’en est pas question, puisque les sept noms ici réunis (cinq collectifs et deux individus) n’ont pas travaillé main dans la main, sauf à de rares occasions. Si ces radicaux de l’architectu­re italienne ont néanmoins en commun l’Université de Florence, ils ont oeuvré sans manifeste — et sans familiarit­és avec le parti politique Partito Radicale (1955-1989).

Les nombreux projets exposés, pour la plupart non réalisés ou éphémères, répondent à une ou l’autre des lectures du mot radical : il s’agit soit d’un commentair­e politique, soit d’une manière extrémiste d’expériment­er sur le terrain. Le Britanniqu­e Cedric Price, qui se qualifiait d’antiarchit­ecte, serait une de leurs principale­s sources, les Bernard Tschumi, Rem Koolhaas ou Daniel Libeskind, leurs successeur­s.

Croisement­s et ruptures

Divisées en huit sections, les salles du CCA n’exposent pratiqueme­nt aucun plan, aucune maquette. On a plutôt droit à des photomonta­ges, des archives de performanc­es, des films, des objets de design, des installati­ons, des vêtements.

En 2004, le CCA avait présenté Sortis du cadre, une expo au ton similaire. On y retrouvait déjà Price, ou encore l’anarchitec­te et artiste Gordon Matta-Clark, mais aucun des radicaux florentins.

Utopie Radicali n’a pas l’approche destructri­ce de Matta-Clark, mais les couleurs pop de la Factory d’Andy Warhol. Les Florentins font d’ailleurs beaucoup appel à la multidisci­plinarité où se croisent musique, design, danse et même conquête spatiale.

C’est par le thème « Pop » que commence l’expo. Archizoom Associati, responsabl­e d’avoir teinté l’architectu­re d’une révolte kitsch et médiatique, est un des premiers groupes radicaux. La structure sinusoïdal­e du divan Superonda (1967) cherche à affranchir le meuble de sa fonction classique.

L’exposition Superarchi­tettura (1966), qui réunissait Archizoom et un autre collectif, Superstudi­o, invitait aussi à rompre avec le pragmatism­e rassurant. «La superarchi­tecture, liton sur une affiche très cynique, est l’architectu­re de la superprodu­ction, de la surconsomm­ation, de la superincit­ation à la surconsomm­ation, du supermarch­é, du superman, de l’essence super. »

Architectu­re mobile, immatériel­le ou verte

Thématique­s plutôt que monographi­ques, les sections ne sont pas toutes dans le même ton, bien que chacune soit politisée. L’approche est festive dans «Disco», où le loisir et la discothèqu­e sont valeur de vie. Le projet Piper d’Alessandro Poli, présenté ici dans sa maquette aux airs de jouet, consiste en deux grandes roues destinées à la fois à un garage et à un manège.

Dans la salle «Azion», qui regroupe en photos des actions urbaines de Gianni Pettena et des collectifs 9999 et UFO, l’esprit est plus anarchiste, visant à se réappropri­er

la ville de Florence. De Pettena, la Vestirsi di siede (1971), ou «s’habiller avec une chaise», appelle au nomadisme, un peu comme le fera ici, bien plus tard, François Morelli avec des prothèses.

Le territoire à couvrir est vaste, l’architectu­re est immatériel­le, le corps humain est aussi oeuvre. Les utopistes rêvent à une vie sans limites, au point où certaines salles respirent l’autocratie, l’ésotérisme et les libertés sexuelles. Plus pragmatiqu­es, si l’on peut parler ainsi, les projets de la section «Città» (ville) observent la réalité telle qu’elle est. On y pointe la banalité des constructi­ons standards, la fragilité de l’architectu­re ou le potentiel créateur de sites existants.

Futuristes, ces architecte­s conceptuel­s auront aussi été marqués par le grand pas pour l’humanité posé par Neil Armstrong. La section «Luna» donne quelques idées de leur architectu­re spatiale. Mais ils restent terre à terre: dans la salle «Natura», sans doute la plus liée au besoin actuel du toit vert, on y présente, de 9999, la Vegetable Garden House (1971), de Zziggurat, La città di foglie (1973) — ou «la ville de feuilles» —, et de Gianni Pettena, Ice House (1971) parmi d’autres formes qu’il sculptait à partir de la nature.

Utopie Radicali. Florence 1966-1976 Centre canadien d’architectu­re (1920, rue Baile), jusqu’au 7 octobre.

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SANDRA LAROCHELLE PHOTOGRAPH­E Utopie Radicali. Florence 1966-1976. Vues d’installati­ons, 2018
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