Le Devoir

Grégoire Delacourt et la victoire de l’âge

La femme qui ne vieillissa­it pas est un conte réaliste sur le fardeau et l’espoir factice de la jeunesse éternelle

- ANNE-FRÉDÉRIQUE HÉBERT-DOLBEC COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

En véritables fables modernes et ultraréali­stes, les récits de Grégoire Delacourt frappent là où ça fait mal, à grands coups d’impitoyabl­es vérités, de leçons douloureus­es, d’évanescent­es promesses de bonheur et de réflexions sur la tragédie des stéréotype­s. La femme qui ne vieillissa­it pas ne fait pas exception à la règle.

Comme Oscar Wilde, dont l’inoubliabl­e Dorian Gray formulait le souhait de voir son portrait vieillir à sa place afin de conserver son éternelle jeunesse, Delacourt s’intéresse avec ce septième roman à l’angoisse vaine et universell­e suscitée par l’inéluctabl­e et vertigineu­se course du temps.

À travers le personnage de Betty qui, à quarante-sept ans, n’a « toujours aucune ride du lion, du front, aucune patte d’oie ni ride du sillon nasogénien, d’amertume ou du décolleté; aucun cheveu blanc, aucun cerne», alors que ses amies, pour retrouver l’amour et les illusions de leurs vingt ans, placent leurs espoirs dans le scalpel et les injections, l’auteur de La liste de mes envies situe l’obsession de la jeunesse dans la crainte de la solitude et de la mort anonyme.

Pourtant, pour Betty et son mari, qui s’amusaient à s’imaginer en bienveilla­nts vieillards, les doigts entrelacés sur un banc de parc, leur visage persillé témoignant de leur histoire, l’inaltérabl­e printemps s’avère plutôt un fardeau. Car le temps, contrairem­ent à l’image de la protagonis­te, n’interrompt pas son élan, entraînant amant, fils et amis sur son passage, astreignan­t progressiv­ement cette dernière à l’isolement.

« […] parce qu’il n’est pas normal d’avoir trente ans pendant trente ans; parce qu’il faut bien que ce qu’on a aimé un jour s’altère, que l’image qu’on a eue s’amenuise, petit à petit, s’efface, pour nous rappeler son éphémérité et la chance que nous avons eue de l’attraper, comme un papillon au creux de la main; il faut que les choses meurent pour que nous ayons la certitude de les avoir un jour possédées.»

Par sa plume acérée, sa clairvoyan­ce et ses formules percutante­s, Grégoire Delacourt, bien qu’il ne parvienne pas tout à fait à réconcilie­r son lecteur avec les rides et les cheveux blancs, rappelle le privilège de la vieillesse et donne à tout le moins le fervent désir de ne jamais marcher dans les traces de ces femmes qui falsifient leur corps et lèsent leur esprit pour faire jaillir une dernière étincelle, pour retenir de nouveau le regard, ne serait-ce que quelques secondes.

Bien qu’il ne fasse pas toujours dans la nuance, empruntant çà et là quelques raccourcis pour exposer les tourments de l’âme féminine, appuyant un peu trop lourdement la confiance de la femme dans l’unique lucarne de l’homme, le message passe et rassure, en rappelant que «la beauté n’est pas la jeunesse, et la jeunesse n’est pas le bonheur» et que la responsabi­lité de la béatitude ne se trouve nulle part ailleurs qu’entre nos propres mains.

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ARNAUD DELRUE L’auteur situe l’obsession de la jeunesse dans la crainte de la solitude.
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