Attentat contre la sagesse
« Dropout du 2e cycle, loner défoncée, saucée de belles lettres, millenial basic babe, lectrice délirante», Emmanuelle Riendeau n’affiche pas exactement le profil propret de celle que l’on invite à bruncher chez ses parents pour la fête des Mères. «Vomir dangereusement / je vous attends à la sortie / de la librairie / un ouvrebouteille / en guise d’argument», annonce en guise d’art poétique la star titubante de la scène montréalaise des micros ouverts.
Disciple de Drake et de Josée Yvon, la «simili princesse pour emporter» multiplie les emprunts au vocabulaire du hip-hop et à la scansion du rap, comme les porte-étendard de la contre-culture des années 1970 s’adossaient au rock. Là où Lucien Francoeur avait élu Jim Morrison en guise de figure tutélaire, Riendeau, elle, a dans son coin Nicki Minaj et traite les gars avec le même égard que le freak de Montréal parlait jadis de sa Barbie en vie. « Lick it well / et j’écrirai un poème sur toi / maybe », suggère-t-elle, bien consciente de la subversion de ce renversement de perspective.
Quelque part entre l’autocongratulation arrogante douchée de champagne bon marché et le mépris de soi quand les arrière-goûts de la veille s’attardent dans notre bouche, Désinhibée présente l’autodestruction comme un attentat contre la sagesse d’une poésie qui ferait beau, mais qui s’entêterait à ne rien dire. «Le pornographique de mes mots / n’invalide pas le littéraire / de mes baises», assure la « call girl on the run », comme si la poésie était la fois une damnation, une bénédiction et un personnage auquel on joue pour oublier que l’on est « celle à qui on dit tout / sauf je t’aime ».
Rien n’est ici trop sacré, ni la langue française, lourdement noyautée par l’anglais, ni la poésie, qui peut émerger d’une chanson de La Chicane (faut le faire). Même Simone y goûte: «On ne naît pas horny / on le devient.» Provocante, elle fait exprès, et elle (le) fait bien.