Le Devoir

Attentat contre la sagesse

- Dominic Tardif

« Dropout du 2e cycle, loner défoncée, saucée de belles lettres, millenial basic babe, lectrice délirante», Emmanuelle Riendeau n’affiche pas exactement le profil propret de celle que l’on invite à bruncher chez ses parents pour la fête des Mères. «Vomir dangereuse­ment / je vous attends à la sortie / de la librairie / un ouvreboute­ille / en guise d’argument», annonce en guise d’art poétique la star titubante de la scène montréalai­se des micros ouverts.

Disciple de Drake et de Josée Yvon, la «simili princesse pour emporter» multiplie les emprunts au vocabulair­e du hip-hop et à la scansion du rap, comme les porte-étendard de la contre-culture des années 1970 s’adossaient au rock. Là où Lucien Francoeur avait élu Jim Morrison en guise de figure tutélaire, Riendeau, elle, a dans son coin Nicki Minaj et traite les gars avec le même égard que le freak de Montréal parlait jadis de sa Barbie en vie. « Lick it well / et j’écrirai un poème sur toi / maybe », suggère-t-elle, bien consciente de la subversion de ce renverseme­nt de perspectiv­e.

Quelque part entre l’autocongra­tulation arrogante douchée de champagne bon marché et le mépris de soi quand les arrière-goûts de la veille s’attardent dans notre bouche, Désinhibée présente l’autodestru­ction comme un attentat contre la sagesse d’une poésie qui ferait beau, mais qui s’entêterait à ne rien dire. «Le pornograph­ique de mes mots / n’invalide pas le littéraire / de mes baises», assure la « call girl on the run », comme si la poésie était la fois une damnation, une bénédictio­n et un personnage auquel on joue pour oublier que l’on est « celle à qui on dit tout / sauf je t’aime ».

Rien n’est ici trop sacré, ni la langue française, lourdement noyautée par l’anglais, ni la poésie, qui peut émerger d’une chanson de La Chicane (faut le faire). Même Simone y goûte: «On ne naît pas horny / on le devient.» Provocante, elle fait exprès, et elle (le) fait bien.

 ??  ?? Désinhibée ★★★ Emmanuelle Riendeau, L’Écrou, Montréal, 2018, 112 pages
Désinhibée ★★★ Emmanuelle Riendeau, L’Écrou, Montréal, 2018, 112 pages

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