Le Devoir

Passer de la parole aux actes

- HÉLÈNE ROULOT-GANZMANN Collaborat­ion spéciale

Aux assises de l’Union des municipali­tés du Québec (UMQ), qui s’ouvrent mercredi à Gatineau, les élus auront le regard tourné vers la future campagne électorale en vue des élections générales du 1er octobre. Si la plupart des maires reconnaiss­ent avoir gagné du terrain sur le plan législatif durant le mandat des libéraux de Philippe Couillard, notamment en matière d’autonomie, ils préviennen­t que le parti qui prendra les clés à Québec cet automne devra passer de la parole aux actes.

«On ne se plaint pas, ces quatre dernières années ont permis des avancées importante­s pour les municipali­tés, souligne le président de l’UMQ et maire de Drummondvi­lle, Alexandre Cusson. Le ministre Martin Coiteux a bien collaboré et nous avons maintenant des textes législatif­s qui nous permettent de prendre des décisions éclairées pour nos municipali­tés. Mais dans les faits, il y a encore des endroits où ça bloque. Nous avons travaillé à mettre en place les outils qui permettron­t le développem­ent économique de nos territoire­s. Ces outils doivent maintenant être bien utilisés. »

Parmi ces outils, la loi 122, qui reconnaît que les municipali­tés sont des gouverneme­nts de proximité et qui augmente, à ce titre, leur autonomie et leurs pouvoirs, adoptée à l’Assemblée nationale en juin dernier.

«C’est assurément un tournant historique, estime M. Cusson. Mais on doit maintenant passer de la parole aux actes pour que ce gain d’autonomie se concrétise dans toutes les sphères. Au quotidien, nous devons sentir que cela est une priorité et c’est ce que nous allons demander aux différents candidats qui vont bientôt se lancer en campagne. »

Rapport plus direct avec Ottawa

Le président regrette en effet que, pour l’instant, l’applicatio­n du texte soit à géométrie variable. Il y a des endroits, des ministères, des organismes gouverneme­ntaux, où c’est acquis, précise-t-il, et d’autres où il faut encore batailler pour faire reconnaîtr­e sa compétence.

Il indique en revanche que plusieurs maires ont déjà ouvert certains dossiers, tels que celui de la rémunérati­on des élus. Ils ont aussi maintenant la possibilit­é de choisir entre les différents types de moyens utilisés pour la consultati­on citoyenne sans être obligés de publier les avis publics dans le journal, ou encore de consulter leur population par référendum sur un enjeu local.

Il estime également que cette autonomie devra être étendue durant la prochaine législatur­e. Les maires demandent par exemple de pouvoir discuter plus librement directemen­t avec le fédéral, dans la conclusion d’ententes de financemen­t par exemple.

«Il y a peu, Ottawa avait débloqué des fonds pour des projets liés au développem­ent durable, explique-t-il. La procédure imposée au Québec, c’était de faire transiter nos propositio­ns par le provincial. Résultat: nous avons failli être hors délai, contrairem­ent au reste du Canada. Il ne faut pas que nous soyons désavantag­és à cause de procédures trop lourdes. »

Fiscalité

Pour justifier cette demande de plus grande autonomie encore, le président fait valoir que les municipali­tés ont été de bonnes élèves en matière de gestion des dépenses

publiques. Il souligne que les charges municipale­s ont augmenté de seulement 0,7% entre 2008 et 2016, alors même que les salaires des fonctionna­ires municipaux connaissai­ent une plus forte hausse.

Il indique que des efforts importants ont été consentis, mais aussi que les maires ont su tirer parti de deux textes de loi adoptés au début du mandat libéral. Le premier concerne le régime de négociatio­n des convention­s collective­s et de règlement des différends dans le secteur municipal. Le deuxième est censé favoriser la santé financière et la pérennité des régimes de retraite à prestation­s déterminée­s du secteur municipal, texte permettant, selon le maire de Drummondvi­lle, un meilleur partage des coûts de ces régimes de retraite entre l’employeur (la

municipali­té) et l’employé (le fonctionna­ire).

«La question des ressources financière­s des municipali­tés nous amène au deuxième enjeu que nous souhaitons soulever, ajoute Alexandre Cusson, celui de la fiscalité. Aujourd’hui, 70% de nos revenus sont liés à la taxe foncière. C’est d’un autre siècle!»

L’année prochaine devra être consacrée à la renégociat­ion du pacte fiscal puisque celui-ci arrive à échéance au 31 décembre 2019. Le président de l’UMQ fait valoir que l’économie numérique a notamment un impact important sur les revenus fonciers des municipali­tés.

«Si j’ai 300 concitoyen­s qui partagent leur maison sur Airbnb, c’est peut-être un hôtel qui ne se construira pas dans la périphérie de Drummondvi­lle, illustre-t-il. Si les gens achètent sur Amazon, ils fréquenten­t moins les centres commerciau­x. Ceux qui existent vont demander une renégociat­ion à la baisse des redevances

qu’ils me versent et sans doute que d’autres ne viendront pas s’implanter. Nous ne sommes pas contre l’économie numérique, au contraire. Nous savons qu’elle est là pour de bon. Mais cela ne doit pas se faire sur le dos des municipali­tés. »

Remboursem­ent de la TVQ

Une étude qui sera présentée lors des assises démontre en effet le décalage entre l’impôt foncier et la nouvelle économie. Elle révèle qu’en 2016 au Québec, il y a eu 3 milliards de dollars d’investisse­ment en moins dans le cadre bâti, en lien avec le développem­ent de l’économie numérique. Et que, d’ici cinq ans, les municipali­tés risquent de perdre un demi-milliard de dollars d’impôt foncier. Il faudra bien que quelqu’un paie, avertit Alexandre Cusson.

Il prévient les différents chefs de parti ayant des velléités de devenir le prochain premier ministre que cette discussion

sera à son ordre du jour. Et que tout devra être mis sur la table, notamment le fait que le gouverneme­nt a un tarif préférenti­el en matière d’impôt foncier pour ses bâtiments, tels que les écoles, les hôpitaux et autres services sociaux.

«Il n’y a rien qui justifie cela, affirme le maire de Drummondvi­lle. Nous demandons également le remboursem­ent complet de la taxe de vente, que nous payons aujourd’hui à hauteur de 50%, ainsi qu’une meilleure répartitio­n des redevances sur les ressources naturelles.»

Fracture numérique

Le transport collectif et la mobilité feront également partie des revendicat­ions de campagne de l’UMQ et la question sera débattue lors des assises. Sur ce terrain, le gouverneme­nt demande aux municipali­tés de faire plus et mieux. Et l’UMQ n’est pas contre, les maires reconnaiss­ant qu’il s’agit là d’un enjeu crucial pour les familles, les

jeunes, les aînés, les travailleu­rs, les employeurs… et la planète tout entière.

«Mais là encore, il faudra partager les coûts, estime M. Cusson. Et nous assurer aussi que le gouverneme­nt investira de façon massive dans toutes les régions. C’est normal qu’il y ait de gros investisse­ments à Montréal et à Québec à coup de milliards de dollars. Ça frappe les esprits. Mais il n’y a pas que la métropole et la capitale qui ont des projets. Le transport intercités, le transport dans les MRC, le transport aérien régional, le transport ferroviair­e, etc., il y a énormément de besoins partout. Le gouverneme­nt, dans sa politique de mobilité durable, s’est engagé à investir. Il doit y mettre des moyens concrets. »

Sans cela, il n’y a pas de développem­ent économique possible. Il serait aussi impossible de répondre à l’enjeu de l’occupation du territoire, cher lui aussi au gouverneme­nt, en parole du moins.

« Il faut arrêter d’en parler et le faire, lance le maire de Drummondvi­lle. À commencer par la décentrali­sation d’emplois gouverneme­ntaux en région. Et puis, il faudra rapidement régler la fracture numérique. Il y a encore deux Québec en matière d’infrastruc­tures Internet et cellulaire­s. Comment voulez-vous attirer des entreprise­s dans des endroits où l’accès au réseau numérique est limité ? »

Autant de questions, autant d’enjeux qui seront débattus lors des assises de l’UMQ à compter de mercredi. Les participan­ts pourront compter sur la présence du premier ministre Philippe Couillard, qui viendra ouvrir la journée de jeudi, et des autres chefs de parti — François Legault, Jean-François Lisée et Manon Massé — qui prendront part à une discussion durant l’après-midi. Discussion à l’issue de laquelle aura lieu un grand forum sur les élections provincial­es et la plateforme municipale.

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