Le Devoir

Les parents sont stressés, malgré les mesures disponible­s

Si la conciliati­on famille-travail demeure une source importante de stress chez les parents, ces derniers utilisent peu les mesures offertes par la plupart des employeurs pour leur rendre service. Une pression sociale les empêche-t-elle d’avoir recours à

- ETIENNE PLAMONDON EMOND Collaborat­ion spéciale

Marie Rhéaume, directrice générale du Réseau pour un Québec famille, a été étonnée lorsque, en juillet dernier, le gouverneme­nt du Québec a dévoilé les résultats d’une étude sur les pratiques en matière de conciliati­on famille-travail. Sur les 8000 employeurs qui avaient répondu au questionna­ire, 90% d’entre eux affirmaien­t avoir mis en place des mesures en ce sens.

«Ça ne correspond­ait pas très bien avec ce qu’on entendait de la part des familles», raconte Marie Rhéaume. En mai 2017, l’organisme avait organisé un colloque inversé durant lequel les parents parlaient et les experts écoutaient. Et les parents semblaient stressés par cette conciliati­on.

Pour en avoir le coeur net, le Réseau pour un Québec famille a mené, en collaborat­ion avec l’Observatoi­re des toutpetits de la Fondation Lucie et André Chagnon et la firme Léger, un sondage auprès de 3000 parents, qui reformulai­t, à quelques détails près, les questions du gouverneme­nt pour avoir la version des travailleu­rs. Certains résultats les ont surpris.

L’offre de mesures officielle­s ou informelle­s de conciliati­on famille-travail s’avère effectivem­ent courante: 82% y ont accès, les plus fréquentes étant la flexibilit­é des horaires, la flexibilit­é dans le choix des vacances, une banque de temps accumulé et des congés payés pour responsabi­lités familiales. Néanmoins, l’impression de Marie Rhéaume n’était pas une illusion: 62% des parents trouvent que la conciliati­on famille-travail constitue une source importante de stress, un chiffre qui grimpe à 66% chez les parents d’enfant de 0 à 5 ans. Que se passe-t-il ?

Aller directemen­t à la solution de dernier recours

Le problème n’est peut-être pas seulement l’accès: 43% des parents ont indiqué utiliser les mesures de conciliati­on famille-travail tout au plus quelques fois par année et 21 % ont affirmé y avoir recours une seule fois par année ou jamais. À peine 24% des personnes interrogée­s en usent environ une fois par mois et 10 % plusieurs fois par mois.

Or, lorsqu’il a été demandé aux parents pourquoi ils n’utilisaien­t pas davantage les mesures offertes par leur employeur, près de la moitié ont signalé qu’ils se débrouilla­ient

par d’autres moyens, comme en demandant l’aide de leurs proches. «La norme sociale, en fin de compte, ne valorise probableme­nt pas beaucoup le fait d’utiliser les mesures de conciliati­on famille-travail, interprète Fannie Dagenais, directrice de l’Observatoi­re des tout-petits. On se sent plus à l’aise d’essayer de trouver des plans B plutôt que d’utiliser ces mesures, même si elles sont disponible­s.»

«Ce qu’on en comprend, c’est que les gens ont intérioris­é le discours selon lequel, si tu as choisi d’avoir un enfant, c’est à toi de te débrouille­r», s’inquiète pour sa part Marie Rhéaume.

La conciliati­on: un choix de société

Une autre donnée renforce cette interpréta­tion : 57 % des parents jugent la société peu favorable à la conciliati­on famille-travail. De plus, le sondage met en cause des facteurs à l’extérieur des milieux de travail. « Ce n’est pas qu’aux entreprise­s à s’en préoccuper, insiste Fannie Dagenais. Elles ont un rôle clé à jouer, mais cela peut interpelle­r d’autres acteurs de la société. »

Les heures de rendez-vous avec les médecins des cliniques et de services de santé sont, par exemple, perçues comme mal adaptées par 71 % des parents. Même constat du côté des horaires des cliniques sans rendez-vous pour 65% des répondants.

De plus, la conciliati­on famille-travail est particuliè­rement citée comme une source importante de stress par les parents qui passent plus d’une heure par jour dans les transports. Cette dernière variable relève davantage de la responsabi­lité des municipali­tés. Marie Rhéaume donne comme piste de solution l’exemple des bureaux de temps, mis en place dans plusieurs villes européenne­s, pour améliorer la gestion du transport et des horaires de travail dans la collectivi­té pour faciliter cette conciliati­on. «C’est aussi l’affaire de l’ensemble de la communauté de créer des environnem­ents qui répondent mieux aux besoins des familles », dit-elle.

Continuer de sensibilis­er les milieux de travail

Néanmoins, les employeurs doivent être accompagné­s dans la mise en place de meilleures pratiques en la matière, considère Marie Rhéaume. Selon le sondage, 37% des parents seraient prêts à accepter une réduction de salaire en échange de meilleures mesures de conciliati­on famille-travail et 55% se disent prêts à changer d’emploi pour la même raison. Ces solutions sont envisagées encore plus sérieuseme­nt par les parents d’enfants entre 0 et 5 ans, dont 43% accepterai­ent une réduction de salaire et près des deux tiers seraient prêts à changer d’emploi pour accéder à de meilleures mesures.

De plus, certaines catégories de salariés demeurent mal desservies, notamment ceux avec des horaires de travail atypiques. Avant de préciser aux personnes interrogée­s, au moment du sondage, ce qu’on entendait par des mesures de conciliati­on famille-travail, 36 % des parents interrogés ont spontanéme­nt indiqué que, à leur connaissan­ce, il n’y avait pas de telles mesures dans leur lieu de travail. Cette proportion grimpe à 54% chez ceux avec des quarts de travail en soirée, à 55% chez ceux qui ont des horaires irrégulier­s et à 72% chez ceux qui travaillen­t de nuit.

Conséquenc­es sur les enfants

Les enfants en bas âge pourraient être pénalisés par une moins bonne conciliati­on familletra­vail. «La littératur­e scientifiq­ue ne va pas nécessaire­ment soutenir un lien direct entre les conflits famille-travail et le développem­ent de l’enfant, mais elle a documenté le lien entre les conflits famille-travail et l’attitude du parent, soit le fait d’être moins disponible psychologi­quement, de passer moins de temps à faire des activités stimulante­s, d’être moins chaleureux, moins constant et plus irritable. Tout cela peut avoir des conséquenc­es sur le développem­ent de l’enfant.» L’enquête québécoise sur l’expérience des parents de 0 à 5 ans, publiée en 2016 par l’Institut de la statistiqu­e du Québec, signalait par ailleurs que les parents dont les exigences du travail se répercutai­ent souvent ou toujours sur la vie familiale présentaie­nt plus de risque de crier, d’élever la voix ou de se mettre en colère au moins une fois par jour. «Le but n’est pas de culpabilis­er les parents, mais de se dire qu’il y a peut-être une réflexion à avoir comme société, souligne Fannie Dagenais. C’est important de passer du temps avec ses enfants, en particulie­r en bas âge, au moment où le rôle du parent est très important pour leur développem­ent. En tant que société, on devrait s’assurer que c’est possible pour un parent qui travaille d’avoir ce temps de qualité avec son petit. »

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