Le Devoir

Mouvements de grève dans plusieurs CPE

- HÉLÈNE ROULOT-GANZMANN Collaborat­ion spéciale

Sur les 400 centres de la petite enfance (CPE) syndiqués à la Confédérat­ion des syndicats nationaux (CSN), 85 sont sans convention collective depuis trois ans. Près de 2000 travailleu­rs, en grande majorité des femmes — éducatrice­s, cuisinière­s et assistante­s administra­tives —, sont suspendus à la lenteur des négociatio­ns entre le syndicat et l’Associatio­n patronale nationale des CPE (APNCPE), qui a refusé l’entente nationale conclue l’automne dernier, préférant négocier l’ensemble les clauses au niveau local. Un mouvement de grève s’organise. «L’ APNCPE considère que, dans l’ entente nationale, il y a des accords qui mettent en péril la qualité des services aux enfants et aux parents, explique Louise Labrie, représenta­nte du secteur des centres de la petite enfance à la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN). Et le ministère de la Famille aurait accepté de signer l’entente? Ça n’a pas de bon sens! Ce qui est incompréhe­nsible, c’est que le ministère ne nous soutient pas. Il ne pousse pas pour faire reconnaîtr­e l’entente. »

Cette entente conclue en novembre dernier porte essentiell­ement sur les salaires, la retraite et les assurances collective­s, mais aussi sur quelques aspects non financiers tels que les procédures de griefs et d’arbitrage, les ratios éducatrice/enfants ou encore la planificat­ion pédagogiqu­e. Elle a mis fin à plusieurs mois de tensions ponctués de quelques jours de grèves dans les CPE. Elle a été signée par l’ensemble des associatio­ns patronales, à l’exception de l’APNCPE, qui avait quitté la table des négociatio­ns avant leur terme.

Dans les CPE affiliés aux autres organisati­ons patronales, des accords ont été conclus sur les enjeux régionaux tels que la gestion de la liste de rappel et, à l’intérieur de chaque CPE, sur les considérat­ions plus locales comme le choix des horaires de travail, les vacances ou encore les temps de pause. Ainsi, sur les 11 000 travailleu­ses de CPE représenté­es par la FSSS-CSN, 9000 ont aujourd’hui une convention collective. Mais 2000 autres, principale­ment en Estrie, dans le Coeur-du-Québec et à Montréal-Laval, en sont toujours dépourvues.

Enjeux financiers

«La partie patronale veut tout renégocier point par point et sa façon de dialoguer est très discutable, souligne Mme Labrie. Au lieu de se baser sur les anciennes convention­s collective­s pour faire des ajustement­s, elle redémarre tout à zéro. Elle a déposé presque quatre cents demandes. C’est ridicule! D’autant qu’après de longues heures de négociatio­n, lorsque l’on finit par s’entendre, c’est souvent sur le statu quo, puisque sur de nombreux points de discorde, comme les assurances collective­s ou encore les régimes de retraite, nous avons peu de marge de manoeuvre, cela étant régi par des lois. »

Le syndicat estime par ailleurs que le rythme des rencontres est insuffisan­t pour avancer adéquateme­nt et que l’APNCPE exige plusieurs reculs inacceptab­les. Louise Labrie fait également valoir que cela affecte financière­ment son organisati­on.

«Nous avons une entente avec le ministère et l’applicatio­n de cette attente conditionn­e des montants d’argent qui nous sont attribués pour mener la négociatio­n avec la partie patronale sur les aspects locaux, principale­ment d’organisati­on du travail, explique-t-elle. Si nous changeons ne serait-ce qu’une virgule de ce qui a été conclu, nous perdons l’argent associé à cela. »

Plusieurs CPE ont voté des jours de grève et certains ont déjà commencé à débrayer. Les 18 et 19 avril dernier, 1350 travailleu­ses de 60 CPE de Montréal et de Laval ont déclenché une grève de deux jours afin de marquer leur ras-lebol face aux demandes patronales, dont certaines sont qualifiées de «méprisante­s».

Le 19 avril, elles se sont d’ailleurs rendues à Magog, rejoindre leurs consoeurs de l’Estrie et du Coeur du Québec pour une grande manifestat­ion devant un CPE géré par la présidente de l’APNCPE, Any Sanders. Les 2000 travailleu­ses ont dénoncé l’extrême lenteur des négociatio­ns et les reculs souhaités par cette associatio­n à leur endroit. Elles réclament l’accélérati­on des pourparler­s dans le but de conclure rapidement leurs convention­s collective­s, échues depuis le 31 mars 2015 et demandent à Québec de rappeler à l’ordre l’APNCPE pour son refus de reconnaîtr­e pleinement l’entente nationale et sa volonté d’obtenir des conditions inférieure­s à ce qui a été négocié à l’échelle de la province.

Judiciaris­ation du conflit

Le ministère de la Famille a promis de dépêcher des conciliate­urs dans chacune des régions afin de débloquer la situation, mais ceuxci ne sont pas encore arrivés.

«Il va falloir que ces conciliate­urs comprennen­t que, si l’entente nationale n’est pas respectée, cela aura un coût pour le syndicat et que ce coût-là, il faudra que ce soit la partie patronale qui l’assume, prévient Louise Labrie. Ça peut représente­r de bons montants d’argent et de temps perdu. C’est affaiblir le droit de représenta­tion des travailleu­rs et des travailleu­ses. »

Mme Labrie dénonce ce qu’elle appelle la «judiciaris­ation» du conflit. Elle indique que, dans la région de Montréal, qui compte une soixantain­e de CPE affiliés à l’APNCPE, environ 500 griefs ont été déposés par le patronat, ce qui oblige le syndicat à employer quatre personnes à temps plein pour traiter de ces dossiers. En comparaiso­n, à Québec, où cette associatio­n patronale n’existe pas, les 55 CPE affiliés à la FSSS-CSN n’ont qu’une cinquantai­ne de griefs à arbitrer.

«Plus il y a de griefs, plus ça coûte cher et plus les tensions augmentent sur les lieux de travail, ce qui ne favorise pas le travail d’équipe, note la responsabl­e. Plutôt que de tenter de trouver des solutions, la partie patronale préfère envoyer ses demandes directemen­t en arbitrage. Quel modèle pour les enfants ! Nous sommes dans le domaine de l’éducation. Nous devrions être des modèles en matière de règlement des conflits. Ce n’est absolument pas le cas. »

Louise Labrie rappelle que le conflit a lieu dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre à la grandeur du Québec et que certaines travailleu­ses partent pour un milieu de travail plus sain. Elle affirme également, non sans une certaine satisfacti­on, que quelques directeurs et directrice­s de CPE ont quitté l’APNCPE ces dernières semaines.

«Et dans ces cas-là, conclut-elle, quelques rencontres suffisent par la suite pour conclure une entente de convention collective. »

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Plusieurs CPE ont voté des jours de grève et certains ont déjà commencé à débrayer.

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