Le Devoir

Impression­nante Berthe Morisot et savoir-faire canadiens

- RABÉA KABBAJ Collaborat­ion spéciale

«En tant que femme, elle aborde des sujets assez différents des impression­nistes hommes : des scènes intimes et personnell­es à travers la représenta­tion d’autres femmes et d’enfants »

Après avoir galvanisé le public et la critique avec sa spectacula­ire exposition Alberto Giacometti, le Musée national des beaux-arts du Québec ne compte pas être à court d’arguments cet été non plus. En s’alliant à trois autres musées internatio­naux d’envergure pour rendre ses lettres de noblesse à une figure fondatrice de l’impression­nisme, et en donnant à voir la variété des savoir-faire canadiens en art contempora­in, l’établissem­ent de Québec vient confirmer la solidité de sa programmat­ion en cette année de son 85e anniversai­re.

Si l’on vous dit Monet, Degas ou encore Renoir, vous situez généraleme­nt tout de suite ces grands noms de l’impression­nisme. Berthe Morisot? La tâche s’avère peut-être un peu plus ardue! Et pourtant… «Même si elle est bien moins connue que ses collègues masculins, Morisot fait partie des artistes majeurs de l’impression­nisme et des membres fondateurs de ce mouvement. On considérai­t donc qu’il fallait la remettre à l’avant-plan», explique André Gilbert, conservate­ur aux exposition­s au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ). C’est d’ailleurs la toute première exposition Morisot au Canada (du 21 juin au 23 septembre 2018), et la première en Amérique du Nord depuis 1987!

Fort de ce constat, le MNBAQ a donné l’impulsion à ce projet itinérant autour duquel il a réussi à fédérer la Fondation Barnes de Philadelph­ie, le Dallas Museum of Art et le Musée d’Orsay de Paris, et qui sera présenté dans chacun de ces quatre établissem­ents, à commencer par Québec. L’une des deux commissair­es choisies, Sylvie Patry, conservatr­ice en chef et directrice de la conservati­on et des collection­s du Musée d’Orsay, n’est rien de moins que «l’une des spécialist­es mondiales de la peinture impression­niste », souligne M. Gilbert, qui voit là un gage de la haute qualité de l’exposition à venir.

Le style Morisot

Si, à l’instar de ses collègues, Berthe Morisot (1841-1895) se caractéris­e par un style impression­niste plutôt classique, la spécificit­é de ses toiles s’illustre de deux façons. «En tant que femme, elle aborde des sujets assez différents des impression­nistes hommes : des scènes intimes et personnell­es à travers la représenta­tion d’autres femmes et d’enfants. Pour une femme, c’est plutôt convenu, mais de la part d’une impression­niste, cela demeure une pratique un peu plus rare», relève André Gilbert.

La seconde marque de fabrique de Morisot réside dans sa radicalité: elle part de la technique impression­niste, mais pour la mener beaucoup plus loin que d’autres. «En peinture, c’est l’une des artistes qui pousse le plus loin la question de l’inachevé. Elle décide d’exposer des oeuvres qui sont considérée­s par d’autres comme des esquisses, tandis qu’elle les présente comme finies», analyse le conservate­ur du MNBAQ.

Entre féminisme et raffinemen­t

En plus de témoigner de ces particular­ités de l’artiste, l’exposition se penchera sur ses années de formation, elle qui dut faire preuve de persévéran­ce pour parvenir à se faire reconnaîtr­e dans un secteur difficile d’accès aux femmes à l’époque. La peinture en plein air — une caractéris­tique de l’approche impression­niste — ou encore la représenta­tion du fameux personnage bourgeois de la Parisienne seront également d’autres portes d’accès à l’oeuvre de Morisot.

«L’exposition dresse le portrait d’une femme singulière, qui est un modèle à plusieurs égards. Son oeuvre est très raffinée et séduisante, donc les gens seront vraiment charmés. Évidemment, c’est l’impression­nisme et on sait à quel point ce mouvement nous touche à plusieurs niveaux. Cependant, c’est également une belle réflexion globale sur les relations entre l’art et la vie personnell­e, deux aspects intimement liés chez Morisot», conclut André Gilbert au sujet de cette exposition qui rassembler­a pas moins de 55 toiles en provenance de neuf pays différents.

Du fait main pancanadie­n

Tranchant avec une offre habituelle­ment soit québécoise soit internatio­nale, la seconde exposition qui prendra l’affiche cet été au MNBAQ, Fait Main/Hand Made (du 14 juin au 3 septembre 2018), sera entièremen­t canadienne. Une approche résolument coast to coast qui explorera l’engouement renouvelé, en art contempora­in, pour la question du faire artistique lié à des pratiques populaires.

«Depuis quelques années, on voit émerger le retour d’un discours sur le savoir-faire, la requalific­ation: ce qu’on appelle le reskilling. J’ai donc voulu faire une exposition sur ce mouvement bien réel, en y allant avec une présentati­on d’oeuvres qui témoignent d’un intérêt pour les savoirfair­e plus ou moins traditionn­els et de marier cela à des questions autour de notions comme l’art populaire, les passe-temps, les loisirs, qui entrent aussi en ligne de compte. Il m’apparaissa­it donc pertinent de proposer cette réflexion sur cette rencontre entre “les beaux-arts” et la culture plus populaire», fait valoir Bernard Lamarche, conservate­ur de l’art actuel (de 2000 à ce jour) au MNBAQ.

Explorer les savoir-faire

Dans cette perspectiv­e, près d’une centaine d’oeuvres émanant de 37 artistes canadiens ont été sélectionn­ées, et donneront à voir des approches diversifié­es de multiples pratiques artisanale­s. «Par exemple, pour l’univers de la poterie ou de la céramique, on a Brendan Lee SatishTang qui revient sur la poterie traditionn­elle, mais en la recoupant avec la culture d’aujourd’hui. Il en fait des espèces de mashups, de rencontres de genre, autant vers le manga que la poterie ancestrale de l’Orient. Avec son approche plus classique, Marie Côté va quant à elle faire parler la céramique, non pas par rapport à son côté usuel, mais plutôt selon ses propriétés sonores suggérées. On a aussi une troisième voie, Clint Neufeld, qui lui a refait des moteurs de voiture, mais en céramique. Ainsi, il nous permet d’introduire dans l’exposition des questions comme le passetemps, le temps qui est pris à faire les oeuvres et la valeur à lui accorder», explique M. Lamarche.

Tantôt conceptuel­les, tantôt plus crues, parfois plus technologi­ques, les oeuvres présentées dévoilent un éventail très large de propositio­ns. Elles mettront à l’honneur des icônes déjà bien établies comme Barb Hunt, François Morelli ou Barbara Todd, mais aussi des artistes de la relève ou en mi-carrière comme Dominique Pétrin, qui avait été invitée l’an dernier à collaborer avec le célèbre artiste britanniqu­e Banksy.

Chose certaine, ces démonstrat­ions de savoir-faire éclectique­s, bigarrées et repoussant les limites du matériau ne devraient pas laisser le public indifféren­t. «Cette exposition s’annonce ludique et festive, et devrait également brasser un peu la cage à certains endroits. Je pense que les gens en ressortiro­nt en réfléchiss­ant aux enjeux de l’exposition, mais aussi avec l’air léger et un grand sourire accroché au visage», estime M. Lamarche.

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COLLECTION PARTICULIÈ­RE Berthe Morisot, Jeune femme en gris étendue (1879)

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