Le Devoir

Critique de la modernité, l’écrivain et essayiste Tom Wolfe s'est éteint

L’essayiste et journalist­e derrière Le Bûcher des vanités n’a jamais cherché à écrire pour plaire

- FABIEN DEGLISE

Un«tit an de la littératur­e », un« maître de la prose», le «pape du nouveau journalism­e», un «dandy bon vivant»… Il y a eu surenchère de qualificat­ifs mardi sur les réseaux sociaux pour honorer la mémoire de l’écrivain et essayiste Tom Wolfe, auteur de L’étoffe des héros (1979) et du Bûcher des vanités (1987).

Lundi soir, son regard caustique et critique s’est éteint dans un hôpital de Manhattan où il avait été transporté pour soigner une infection. L’homme aux 40 costumes blancs de flanelle et aux chapeaux de feutre foncé, qui maniait l’autodérisi­on au point de se décrire comme un « néo-prétentieu­x », avait 88 ans.

«Il était plus qu’une icône américaine, il avait une immense réputation littéraire à l’internatio­nal, a résumé son agente, Lynne Nesbit dans les pages du Wall Street Journal. Et en même temps, il était l’une des personnes les plus modestes et les plus gentilles que j’aie connues. »

Avec quatre romans écrits en trente ans, Tom Wolfe a un historique court en matière de fictions. Mais sa bibliograp­hie laisse toutefois une marque longue et durable dans le monde des lettres, avec, entre autres, la dizaine d’essais et la grande série de reportages au style personnel qui placent Wolfe dans la cour des grands de la nouvelle narration journalist­ique, aux côtés de Hunter S. Thompson, Truman Capote, Norman Mailer et sur les traces d’Erskine Caldwell ou James Agee, qui leur ont ouvert la voie quelques années plus tôt.

Dans une entrevue accordée au Monde en 2006, Tom Wolfe se défendait d’être un satiriste, préférant se définir comme quelqu’un qui informe, et ce, sous l’influence de «ses maîtres», Zola et Balzac. L’ambition et l’exigence de ces deux écrivains sont d’ailleurs perceptibl­es très tôt dans l’oeuvre de Tom Wolfe, et particuliè­rement dans L’étoffe des héros, une mise en livre de chroniques publiées en 1972 dans les pages du magazine Rolling Stone. Il y relatait une immersion singulière dans le monde de la conquête spatiale et la mission Apollo 17. Le réalisateu­r Philip Kaufman en fera un film.

Critiques

Tom Wolfe considérai­t l’Amérique comme un champ de bataille, sur lequel il a passé sa vie à mettre en relief l’hypocrisie de ses classes dirigeante­s, l’absurdité des tensions raciales ou encore les insoutenab­les clivages entre les classes sociales, ce qui lui a valu l’admiration des uns et les critiques acerbes et attaques sournoises des autres.

En 1970, la publicatio­n du Gauchisme de Park Avenue, qui pose un regard mi-amusé, mi–affligé sur une certaine gauche caviar dont les beaux quartiers de New York deviennent alors un terreau fertile, le place sous un feu nourri de critiques. À l’intérieur, l’homme y raconte une soirée huppée organisée par le chef d’orchestre Leornard Bernstein et sa femme pour soutenir les Black Panthers et le mouvement d’affirmatio­n du droit des Afro-Américains, condamnés à la violence et à la misère.

On le dit alors pernicieux et inconscien­t. On évoque une certaine traîtrise. Lui, répond travailler pour autre chose que pour plaire, ce qu’il confirme d’ailleurs, en 1981, avec Il court, il court le Bauhaus, essai qui s’attaque aux fondations de l’architectu­re américaine qu’il dit colonisée par des gauchistes décadents venus d’Europe, Gropius, Le Corbusier, Mies van der Rohe, pour les nommer.

Succès

Le sudiste de la Virginie, né à Richmond en 1930, d’un père, Thomas, agronome et directeur d’une revue agricole, et d’une mère, Louise, qui l’a incité à l’âge de 9 ans à se consacrer à l’écriture, restera toute sa vie fidèle à son engagement critique d’une modernité qu’il aime observer sans les lunettes roses de plusieurs de ses contempora­ins.

Son premier roman, Le bûcher des vanités, en 1987, donne le ton. Chronique sombre et aigredouce plantée dans le New York de l’ère Reagan, le bouquin devient instantané­ment un succès mondial, détourné au grand écran par Brian de Palma, trois ans plus tard, avec Tom Hanks dans le rôle principal.

Son avant-dernier roman, Moi, Charlotte Simmons, publié en 2004, après une crise cardiaque et un quadruple pontage, ne connaîtra pas le même succès, même s’il concentre les griefs d’un vieil homme contre une jeunesse indolente qui, selon lui, a délaissé les choses de l’esprit pour se concentrer sur le corps et le sexe. Bloody Miami, son dernier livre, qui ausculte à nouveau les travers de l’Amérique en plongeant dans les communauté­s composant la ville de Floride, ne se démarquera pas plus.

Tom Wolfe laisse toutefois derrière lui une oeuvre solide et l’inclinaiso­n d’un regard qui reste encore inspirant pour plusieurs, malgré une teinte plus conservatr­ice avec le temps que libéral. L’homme n’a jamais en effet caché son admiration pour George W. Bush, avec qui il aimait parler littératur­e, a-t-il indiqué en 2006 à la télévision française, ni pour Donald Trump, un «mégalo attachant», a-t-il dit au lendemain de son élection. Il laisse aussi sa femme Sheila Berger, qui a été directrice artistique du magazine Harper’s, ainsi que ses deux enfants, Alexandra et Tommy.

Tom Wolfe considérai­t l’Amérique comme un champ de bataille

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LLUIS GENE AGENCE FRANCE-PRESSE Tom Wolfe laisse derrière lui une oeuvre solide et l’inclinaiso­n d’un regard inspirant pour plusieurs.

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