Médecine familiale : les régions boudées par les résidents
La réforme du ministre Barrette causerait une désaffection des étudiants pour la médecine générale
Les régions éloignées écopent pour la perte d’attractivité de la médecine familiale auprès des étudiants en médecine. La majorité des 65 postes de résidence restés vacants cette année, un record, se trouvent en région.
Une «catastrophe»! Voilà comment la Dre Isabelle Massé décrit l’impact pour l’AbitibiTémiscamingue, où 19 postes sur 22 n’ont pas trouvé preneur. Les six postes disponibles à Amos ont été boudés, tout comme cinq des six postes à La Sarre. Et le seul étudiant recruté là vient d’une autre province canadienne.
«Les équipes d’enseignement sont découragées», avoue la médecin de La Sarre, alors que la situation était également difficile l’an dernier.
Autre exemple: sur la Côte-Nord, sept des huit postes disponibles à Baie-Comeau sont libres. À Trois-Pistoles, c’est quatre postes sur six.
Le phénomène est purement québécois: aucun poste de résidence en médecine familiale n’est vacant ailleurs au Canada. Les plus récentes données du Service canadien de jumelage des résidents montrent que, sur 78 postes libres à l’échelle du pays, 69 se trouvent au Québec, dont 65 en médecine familiale.
La plupart des postes non pourvus sont en région éloignée, mais pas tous : 14 se trouvent à Québec, 2 à Lévis, 5 dans la région de Sherbrooke et 2 à Saint-Hyacinthe.
Dur coup pour l’Abitibi-Témiscamingue
Directrice de la clinique universitaire de médecine familiale des Aurores boréales, à La Sarre, la Dre Isabelle Massé craint que les difficultés de recrutement ne mènent tout droit la région à une pénurie de médecins tout court. «On le voit venir, nous sommes très inquiets pour la suite», confie-t-elle. Plus de 6000 personnes sont en attente d’un médecin de famille dans la région.
Différents bouleversements administratifs ont forcé l’abandon des efforts de promotion auprès des étudiants en médecine. « Nous n’avions pas les budgets», résume la Dre Massé. Le problème des postes non pourvus empire chaque année depuis trois ans, observe-t-elle.
Le tout a un impact sur les patients, puisque les résidents participent directement aux soins. «Si nous n’avons pas de résidents pour remplacer la cohorte qui nous quitte, les médecins ne pourront pas assumer la totalité des suivis », explique la Dre Massé. «Nous avons notamment beaucoup développé les soins à domicile, mais on a besoin des résidents.» Entre les gardes à l’urgence ou à l’hôpital, le bureau et l’enseignement, ce n’est pas le travail qui manque.
Seul espoir possible, il arrive que des résidents s’amènent en cours d’année, lorsqu’ils abandonnent un programme de résidence en spécialité qui finalement ne leur convient pas. «Ce sont de belles surprises», dit la Dre Massé. Mais rien n’est garanti… « Nous ne sommes pas à l’abri qu’aucun ne nous arrive dans l’année. »
Les médecins enseignants de la région se sont rencontrés et cherchent des solutions, ajoute-t-elle, dont la réactivation des activités de recrutement.
Pourquoi?
Plusieurs pointent les mesures et le discours du ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, comme l’un des facteurs ayant mené à la situation actuelle.
«Avec tous les changements, ça ne rend pas la médecine de famille très attrayante», remarque le président de la Fédération des médecins résidents du Québec (FMRQ), le Dr Christopher Lemieux. «Il va y avoir un gros travail à faire pour en redorer l’image. »
Des étudiants, bien que peu nombreux, préfèrent même prendre une année sabbatique dans l’espoir d’être acceptés plus tard dans une spécialité, déplore-t-il. «C’est dérangeant…», soupire-t-il.
Le fait que la médecine de famille soit désormais attachée à une «pratique très ciblée», en cabinet, «fait peur», constate le Dr Hugo Viens, qui préside l’Association médicale du Québec (AMQ).
«Et les régions ont l’odieuse double tâche d’attirer les étudiants non seulement en médecine de famille, mais aussi en région », ajoute-til. Il espère que le phénomène est « transitoire » et que les futurs étudiants en médecine, auxquels le nouveau visage du métier est familier, y reviendront.
Une donnée à relativiser?
Selon la Dre Hélène Boisjoly, il y a lieu de relativiser les récentes données du jumelage. De plus en plus de postes de résidents en médecine de famille sont disponibles chaque année, car Québec souhaite à terme que la proportion soit de 55% par rapport aux spécialités.
« La cible s’éloigne », argue la présidente de la Conférence des doyens des facultés de médecine du Québec, qui s’exprime au nom des quatre facultés. «Il y avait 498 places offertes en 2018, contre 360 il y a dix ans », explique-t-elle.
Les facultés travaillent très fort non seulement pour intéresser les étudiants à la médecine familiale, mais aussi pour les intéresser à la pratique en région, assure-t-elle.
«Mais malgré tous nos efforts, certains étudiants ne postulent pas», constate-t-elle. Avec 51% des postes de résidence pourvus qui sont en médecine de famille cette année, elle croit que Québec devra légèrement ralentir la cadence à laquelle il rend les postes disponibles avant d’atteindre les 55 % visés.
Solution: plus de flexibilité
Bien qu’il soit déçu et inquiet de la situation, le Dr Howard Bergman tente d’imaginer des solutions. Le directeur du Département de médecine familiale à l’Université McGill croit que plus de souplesse dans les règles administratives entourant la gestion des lieux de formation serait nécessaire. «Ce sont les mêmes règles pour notre UMF dans Côte-des-Neiges qu’à Val-d’Or », résume-t-il.
Sortir des «carcans» permettrait à chaque milieu de mettre en avant ses propres solutions, croit-il. Selon lui, il faut aussi revoir les incitatifs financiers octroyés aux résidents qui vont en région pour une formation de deux ans. « Quand on réduit le pool d’étudiants intéressés par la médecine générale, nécessairement, les premiers à souffrir, ce sont les milieux ruraux », déplore-t-il.
Faut-il dès le début de la formation médicale diviser la cohorte en deux, soit ceux qui se destinent à la médecine de famille et ceux qui deviendront spécialistes? «C’est un élément à considérer », avance le Dr Hugo Viens.