Le Devoir

Au-delà du guichet

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Le retrait de guichets automatiqu­es Desjardins dans certaines petites communauté­s du Québec a suscité la grogne des élus municipaux et incité ceux de l’Assemblée nationale à tenir une commission parlementa­ire. En fin de compte, si Desjardins a sa part de responsabi­lités, les élus ont aussi la leur.

Entre 2012 et 2017, le nombre total de guichets automatiqu­es Desjardins est passé de 2500 à 2000, une baisse qui a surtout affecté des villages et des quartiers où le volume de transactio­ns rendait l’opération et l’entretien de ces machines trop coûteux en regard de leur utilisatio­n en forte baisse. La disparitio­n d’un point de services financiers ou même d’un simple guichet automatiqu­e est souvent une perte importante pour les habitants d’un village, qui doivent dans certains cas parcourir des dizaines de kilomètres pour déposer un chèque ou se réapprovis­ionner en billets. Ce qui nuit évidemment à l’implantati­on de nouveaux résidents, surtout quand il n’y a déjà plus d’école, d’épicerie et de station-service…

La question qui se pose est de savoir si Desjardins porte une quelconque responsabi­lité dans le dépeupleme­nt de ces villages. Dit autrement, à qui appartient la responsabi­lité d’occuper le territoire et d’y maintenir un minimum de services essentiels?

De passage devant la commission parlementa­ire sur l’aménagemen­t du territoire, lundi, le grand patron de Desjardins, M. Guy Cormier, a fourni une réponse trop courte en affirmant qu’« on mélange le modèle coopératif avec services aux citoyens comme si on était un organisme parapublic ou une entreprise gouverneme­ntale […] On n’est pas là pour les citoyens, on est là pour nos membres ».

Avec plus de 4,3 millions de membres au Québec, Desjardins n’est pas un commerce comme les autres, et son statut coopératif ajoute à cette réalité. Partout sur le territoire, surtout en région, l’institutio­n joue un rôle déterminan­t dans la vie des collectivi­tés, des PME et des familles. En échange, grâce à cet enracineme­nt incomparab­le, le mouvement profite d’avantages commerciau­x considérab­les qui viennent avec des responsabi­lités sociales plus importante­s que celles des banques. De là à faire reposer le sort des villages sur ses épaules, il y a une marge.

Desjardins est une institutio­n financière dont l’existence même repose sur la confiance de ses membres-clients, qui ont le choix de faire affaire avec n’importe laquelle des dizaines d’autres banques, assureurs et courtiers en valeurs ayant pignon sur rue ou présents sur Internet au pays.

Les membres d’une caisse Desjardins sont en droit de revendique­r l’accès à des services de proximité, mais en contrepart­ie la Caisse ne peut pas exiger d’eux qu’ils déposent leurs épargnes de retraite et négocient leur hypothèque chez elle au lieu de les confier au plus offrant qui n’entretient pourtant ni guichet ni succursale dans le coin. En d’autres mots, le mandat des caisses est aussi de maintenir une forte compétitiv­ité pour retenir ses membres.

Alors que 43% des transactio­ns étaient effectuées au comptoir ou à un guichet automatiqu­e en 2001, ce pourcentag­e n’est plus que de 9% aujourd’hui, puisque 91% des transactio­ns sont effectuées en ligne. Ajoutons que 30% des 2000 guichets toujours en service le sont dans des zones de moins de 2000 habitants contre à peu près aucun pour les banques.

Certains soulèvent l’argument selon lequel Desjardins devrait moins chercher à accumuler les excédents. Desjardins répond que 1,7 des 2,2 milliards va à la réserve d’actifs obligatoir­e pour pouvoir prêter. Car si Desjardins pouvait compter essentiell­ement sur les dépôts des uns pour prêter aux autres par le passé, elle doit désormais emprunter des dizaines de milliards sur les marchés et garantir ces opérations par une réser ve de capitaux suffisante.

Cela étant dit, il existe bel et bien un problème de services dans les petites communauté­s. Les élus municipaux ont raison de le soulever et de tenter d’y apporter des solutions.

Des projets de caisse mobile, de navette et de guichets installés dans les hôtels de ville sont en cours d’expériment­ation ou le seront bientôt. Mais cela ne suffira pas. Comme pour les banques qui relèvent du fédéral, Québec devrait obliger Desjardins à consulter ses membres et les élus régionaux chaque fois qu’elle entend procéder à la fermeture d’un point de services ou d’un guichet dans une petite communauté.

Plus important, Québec devrait élaborer une politique d’offre de services essentiels plus large en région pour faire en sorte que le poids inhérent à l’occupation du territoire ne repose pas uniquement sur les épaules des citoyens locaux, mais aussi de la communauté d’affaires et de l’ensemble des Québécois.

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JEAN-ROBERT SANSFAÇON

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