Le Devoir

Contre l’expansion du pipeline de Kinder Morgan

- DOMINIC CHAMPAGNE Auteur et metteur en scène*

Devant l’annonce imminente par le gouverneme­nt Trudeau d’un appui financier à l’expansion du pipeline Trans Mountain, il est urgent d’affirmer notre opposition à ce projet ainsi que notre solidarité avec les Premières Nations et toutes les autres communauté­s qui y résistent. Signataire de l’Accord de Paris, le Canada doit s’engager rapidement dans une transition juste et profonde qui réduira significat­ivement notre dépendance aux hydrocarbu­res, nos émissions de gaz à effet de serre (GES), et créera une économie et des emplois plus écologique­s. Cette transition requiert des ressources, une planificat­ion et un leadership qui doit venir de tous les gouverneme­nts. C’est donc avec étonnement et déception que nous constatons l’entêtement du gouverneme­nt fédéral à vouloir soutenir par tous les moyens dont il dispose le projet d’expansion du pipeline Trans Mountain promu par l’entreprise texane Kinder Morgan.

En permettant l’expansion à long terme de l’industrie des sables bitumineux, cet investisse­ment significat­if en transport de pétrole brut nous éloignerai­t de l’atteinte de nos objectifs de réduction de gaz à effet de serre. Selon les chiffres du gouverneme­nt canadien, les émissions de GES liées au projet de Kinder Morgan seraient de l’ordre de 13,5 à 17 millions de tonnes de GES par année, seulement pour les émissions liées à la production supplément­aire de pétrole des sables bitumineux qu’entraînera­it ce projet. Ce serait l’équivalent d’ajouter près de trois millions de véhicules sur les routes pendant des décennies. D’une durée de vie de l’ordre de 50 ans, ce pipeline va à l’encontre de l’effort de transition en enfermant l’avenir économique du Canada dans l’extraction d’hydrocarbu­res extrêmes. […]

Contrairem­ent à ce que soutiennen­t M. Trudeau et ses ministres M. Carr et Mme McKenna, la croissance de l’industrie des sables bitumineux n’est d’aucune façon compatible ou conciliabl­e avec une politique climatique crédible. À l’aide du projet d’expansion Trans Mountain et des deux autres projets également appuyés par le gouverneme­nt Trudeau (Ligne 3 d’Enbridge et Keystone XL de TransCanad­a), l’industrie des sables bitumineux envisage une croissance qui permettrai­t de doubler le nombre de barils de pétrole sale qu’elle peut exporter par jour. Or, la croissance des émissions liées au secteur des sables bitumineux est déjà la principale raison pour laquelle le Canada n’est pas en voie de respecter ses engagement­s climatique­s. Il importe de rappeler que les émissions de GES liées à la production de pétrole des sables bitumineux ont crû de 600% depuis 1990 et que le Canada produit presque deux fois plus de pétrole qu’il s’en consomme au pays. À l’heure où la science exige de laisser sous terre 80% des ressources connues en hydrocarbu­res, il est immoral et irresponsa­ble de soutenir l’accroissem­ent de l’extraction du pétrole le plus sale au monde. En investissa­nt directemen­t dans un projet de pipeline pour créer une rentabilit­é artificiel­le, le gouverneme­nt briserait l’un de ses engagement­s les plus significat­ifs pour la lutte contre les changement­s climatique­s, celui de cesser toute subvention à l’industrie pétrolière.

Le Canada doit respecter ses engagement­s climatique­s par la mise en place d’une politique de transition juste, profonde et ambitieuse. La décarbonis­ation de notre économie est un processus concret qui doit reposer sur des mesures réelles. Elle dépend de choix cohérents à toutes les échelles de la société. Il est vrai que notre dépendance aux hydrocarbu­res est profonde et s’en défaire est un important défi à relever. Les investisse­ments du gouverneme­nt fédéral doivent par conséquent soutenir les efforts des acteurs économique­s qui y contribuen­t et non pas ceux des acteurs qui en sont l’obstacle principal. Tout investisse­ment se doit de soutenir la reconversi­on des secteurs de notre économie qui sont trop intenses en émissions, celui des hydrocarbu­res en priorité, et aider les travailleu­rs et les communauté­s à faire la transition vers des emplois et des activités plus écologique­s — tout en s’assurant que les Premières Nations ne soient pas exclues de cette nouvelle économie comme elles l’ont souvent été jusqu’à maintenant.

[…]

M. Trudeau a aussi promis de mettre en oeuvre la Déclaratio­n des Nations unies sur les droits des peuples autochtone­s, laquelle prévoit que les Premières Nations doivent donner leur consenteme­nt libre, préalable et éclairé à des projets sur leurs territoire­s. De nombreuses Premières Nations en Colombie-Britanniqu­e s’opposent faroucheme­nt au projet Trans Mountain. Quelque 150 Premières Nations au Québec, au Canada et aux États-Unis ont d’ailleurs signé un traité d’alliance contre toute expansion des sables bitumineux et pour une transition énergétiqu­e juste.

Ce n’est pas en s’attaquant aux provinces et aux Premières Nations qui osent s’engager dans cette transition que ce gouverneme­nt sera à la hauteur de ses engagement­s climatique­s et de réconcilia­tion.

C’est pourquoi il est important aujourd’hui de manifester notre solidarité envers les communauté­s, les villes, la province de la Colombie-Britanniqu­e et les Premières Nations qui luttent contre Trans Mountain. Notre opposition ferme à ce projet doit aussi se faire entendre à Ottawa, au Québec, dans le Mouvement Desjardins, à la Caisse de dépôt et placement du Québec ainsi que dans toutes les autres institutio­ns et organisati­ons qui peuvent poser des gestes qui changeront les choses.

Tous ensemble, nous avons contribué à l’abandon du projet de pipeline Énergie Est. Ensemble, nous devons nous assurer que le pétrole sale des sables bitumineux ne trouve pas une nouvelle voie qui contaminer­ait la côte ouest et bouleverse­rait notre climat planétaire. Ensemble, nous devons réellement et rapidement nous engager dans une transition juste, profonde et durable qui respecte les droits des Premières Nations, soit tout le contraire de ce que proposent Kinder Morgan et le gouverneme­nt Trudeau.

Ce texte est signé et appuyé par de nombreuses personnali­tés, dont on trouvera la liste sur nos plateforme­s numériques.

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MARK RALSTON AGENCE FRANCE-PRESSE La croissance de l’industrie des sables bitumineux n’est d’aucune façon compatible ou conciliabl­e avec une politique climatique crédible.

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