Le Devoir

Salle comble

Frédéric Dubois s’engage à nouveau sur les terres de l’absurde dans Les chaises

- CHRISTIAN SAINT-PIERRE

LES CHAISES

Texte : Eugène Ionesco. Mise en scène : Frédéric Dubois. Une coproducti­on du Théâtre du Nouveau Monde et du Théâtre des Fonds de tiroirs. Au TNM jusqu’au 2 juin.

En 1991, au Quat’Sous, Daniel Roussel avait guidé Benoît Girard et Hélène Loiselle dans cette vertigineu­se aventure théâtrale que sont Les chaises. En 2000, au Rideau vert, Paul Buissonnea­u faisait lui aussi appel à Hélène Loiselle, cette fois pour partager la scène avec Gérard Poirier. Au TNM, ces jours-ci, presque deux décennies plus tard, la pièce d’Eugène Ionesco, créée à Paris en 1952, est défendue par un autre tandem de grands acteurs, Gilles Renaud et Monique Miller, sous la houlette de Frédéric Dubois.

Rappelons que le codirecteu­r du Théâtre des Fonds de tiroirs, qui s’est maintes fois frotté à Ionesco depuis la fin des années 1990, a fait son entrée au TNM il y a cinq ans en dirigeant Benoît McGinnis dans

Le roi se meurt. Tout aussi inquiétant­e, mais peut-être plus radicale encore, la partition des Chaises cristallis­e le génie impérissab­le de celui que l’on considère, avec Samuel Beckett, comme le père du théâtre de l’absurde. C’est que la soirée-conférence organisée par le Vieux et la Vieille, rassemblem­ent de fantômes, visiteurs intangible­s et néanmoins omniprésen­ts, est une si riche métaphore de la condition humaine qu’on pourrait aisément, comme spectateur aussi bien que comme créateur, s’y égarer.

Dans le rapport tendre et cruel qui unit les protagonis­tes, deux sages fous qui dissertent avec prolixité et poésie, mais aussi dans la relation qu’ils entretienn­ent avec leurs innombrabl­es invités invisibles, on voit surgir les questions existentie­lles, l’être et le néant, en somme le sens de la vie, son insondable mystère, mais également les bonheurs et les affres du couple, sans oublier les enjeux cruciaux de ce qu’on appelle aujourd’hui le vivre-ensemble. Le flot de mots, porté par une savoureuse dérision, une satire souveraine et une ironie fracassant­e, n’en est pas moins empreint de lucidité.

La représenta­tion, comme le veut la tradition, se déploie crescendo. La scène se peuple de chaises, bien entendu, on vous laisse le plaisir de découvrir de quelle façon et avec l’aide de quelles revenantes. On se contentera de révéler que les images choisies sont belles, mais plus ou moins efficaces à traduire le caractère étouffant de la proliférat­ion inexorable qui s’opère. De manière générale, Frédéric Dubois est plus habile à mettre en relief la dimension comique de l’oeuvre, au détriment de sa part tragique.

Ainsi, lorsqu’il s’agit de nous faire voir et entendre leurs nombreux invités, Renaud et Miller ne ménagent aucun effort, exprimant plus volontiers la farce et la parodie que le vide et la trahison. Quand l’heure est venue, les protagonis­tes glissent dans la mort, littéralem­ent. Pour apaiser nos craintes, répondre à nos questions, ne reste plus que l’Orateur, nu comme un vers, lèvres scellées, incapable de livrer son message à l’humanité. C’est alors que l’angoisse surgit, enfin.

Le flot de mots, porté par une savoureuse dérision, une satire souveraine et une ironie fracassant­e, n’en est pas moins empreint de lucidité

 ?? YVES RENAUD ?? Gilles Renaud et Monique Miller ne ménagent aucun effort, exprimant davantage la farce et la parodie que le vide et la trahison.
YVES RENAUD Gilles Renaud et Monique Miller ne ménagent aucun effort, exprimant davantage la farce et la parodie que le vide et la trahison.

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