Le Devoir

Harry et Meghan dans tous leurs états de grâce

Pourquoi l’union princière fascine-elle autant ?

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Son Altesse Royale le prince Henri de Galles, alias Harry, 33 ans, convole aujourd’hui en justes et gigantesqu­es noces avec Meghan Markle, roturière, divorcée, Américaine, de trois ans son aînée.

Il faut avoir vécu sous une sorte de dolmen quelque part en Corée du Nord pour ne pas le savoir. La passion médiatique pour cette union frise la frénésie maladive. Même RDI et LCN vont relayer la cérémonie du château de Windsor jusqu’ici, dans ce recoin du Commonweal­th quand même réputé comme étant un tantinet antimonarc­hique.

Comment expliquer cette Harry & Meghan Mania ? Le journalist­e John Fraser, luimême passionné sociopolit­iquement de la Couronne britannico-canadienne, a envoyé sa réponse la plus éclairante après l’entrevue téléphoniq­ue en citant un extrait de Walter Bagehot, son alter ego du XIXe siècle, lui aussi journalist­e, lui aussi spécialist­e de la monarchie britanniqu­e.

«Un mariage princier est la réalisatio­n brillante d’un fait universel et, en tant que tel, il soude l’humanité», écrivait Bagehot en 1863, au moment de l’union ente le futur roi Édouard VII et la princesse Alexandra de Danemark.

«Une famille royale adoucit la politique en ajoutant de jolis et agréables événements. Elle introduit des faits non pertinents dans les affaires du gouverneme­nt, mais ce sont des faits qui touchent au coeur des gens et occupent leurs pensées.»

En tout cas, notait déjà le monarchist­e, une union princière ou royale intéresse la moitié de l’humanité «50 fois plus qu’un mariage de ministre ». On semble pouvoir multiplier par dix ou par cent ou par mille l’évaluation dans notre monde hypermédia­tisé en ce début de XXIe siècle.

«C’est une situation complexe et en même temps toute simple, dit M. Fraser en entrevue. C’est une histoire d’amour, mais c’est aussi un tournant pour la façon de voir la monarchie britanniqu­e. L’histoire de la princesse Diana, mère de Harry et de son frère William, a fini tragiqueme­nt. Elle, puis la famille, a éduqué ses deux fils de manière moins rigide. La Couronne a bien senti que les deux héritiers incarnaien­t un nouvel âge, celle des nobles plus naturels, plus ordinaires si l’on veut. Harry se présente même comme un bad boy, un esprit plus libre. Et son mariage, après celui de William, vient le confirmer.»

Les deux promises et choisies, Kate Middleton et Meghan Markle, sont en plus deux roturières. Mme Markle vient du showbiz. Sa mère est Afro-Américaine. Et elle-même se décrit comme « mixed race ».

«C’est tout un choc pour certains de voir arriver une Noire dans la famille royale. Pour les Britanniqu­es noirs, plus noirs que Meghan Markle, même s’ils ne sont pas attachés à la Couronne, c’est un symbole fort. Je pense que pour survivre, l’institutio­n doit se diversifie­r de cette manière. En tout cas, elle ne peut pas rester confinée à la haute classe blanche. »

Il y aurait donc une sorte de «moment Obama» avec cette incorporat­ion dans la Couronne de Mme Markle. Un moment extraordin­aire qui cristallis­e un changement dans la lente marche des institutio­ns.

Un monarchist­e

John Fraser, lui-même, est tout sauf un journalist­e ordinaire. Il a été critique de danse et de théâtre, correspond­ant en Chine et chroniqueu­r pour le Globe & Mail, éditeur du magazine Saturday Night, recteur du collège Massey de l’Université de Toronto. Il préside maintenant le National NewsMedia Council, l’équivalent canadien du Conseil de presse du Québec.

Il est aussi le fondateur de l’Institut pour l’étude de la Couronne au Canada. Il se décrit comme un «partisan de la notion», disons un monarchist­e pour faire court.

«C’est un institut qui s’intéresse à la Couronne, mais pas à ce qu’on retrouve dans les magazines, si vous voyez ce que je veux dire. Nous organisons des colloques sur le rôle, le symbole et l’évolution de la monarchie dans notre système de gouverneme­nt. »

M. Fraser a publié en 2012 The Secret of the Crown: Canada’s Affair with Royalty (House of Anansi Press). Cette relation spéciale passe ici par une relation un peu tordue, reconnaît le spécialist­e. D’un côté, la monarchie et ses représenta­nts (le vice-roi et les lieutenant­s-gouverneur­s), tout ce système de survivance inégalitai­re, énervent bien du monde de la société démocratiq­ue. D’un autre côté, il semble difficile d’en changer précisémen­t parce qu’une importante minorité y tient, dont beaucoup de nations autochtone­s.

«Notre système demandant l’unanimité des législatur­es fait que c’est très compliqué de se débarrasse­r de cette institutio­n, Pierre Elliott Trudeau l’a bien vu en rapatriant la Constituti­on en 1982. En plus, par un étrange effet de l’histoire, la famille royale sert le processus de réconcilia­tion avec les peuples fondateurs. Ils adoptent la notion, soutenue par l’exemple du Québec, voulant que le système politique canadien permette à des nations d’exister dans la nation.»

De la médiation

Le windsorolo­gue note aussi la confiance renouvelée dans la monarchie par le fait même du dévouement indéfectib­le de la reine Élisabeth, grand-mère de Henri, prince de Galles, championne mondiale de la longévité en règne. La série The Queen sur Netflix (60 épisodes couvriront six décennies de notre ère élisabétha­ine) vient de relancer cette notoriété. Charles prendra le relais d’ici peu. Le futur roi aura attendu dans l’ombre de sa mère 70 ans et plus après avoir vécu dans l’ombre de sa première femme et maintenant de ses deux fils.

«Il va occuper de plus en plus de fonctions officielle­s ennuyeuses, en remplaceme­nt de sa mère, pour adouber des chevaliers et distribuer des médailles. Puis il deviendra roi à son tour, probableme­nt pour une dizaine d’années, et les gens vont voir qu’il est un homme décent. Et puis ce sera au tour de William. Mais c’est Harry qui aura la part belle, avec Meghan, probableme­nt en parcourant le Commonweal­th.»

Meghan Markle reviendra donc au Canada, à Toronto, où elle a vu sa carrière télé s’épanouir avec la série Suits. John Fraser cite une chronique australien­ne qui donnait tout au plus cinq ans à la nouvelle mariée avant de quitter son prince et son monde incroyable­ment routinier et ennuyeux. Sans oublier l’attention monomaniaq­ue des tabloïds britanniqu­es que même une actrice hollywoodi­enne aura de la difficulté à supporter.

«Cette presse n’a rien de comparable ici, dit le président de l’organisme d’autorégula­tion des médias canadiens. Elle est en mission de destructio­n.»

En tout cas, la mère du prince qui se marie est morte de cette folie médiatique. «Diana a essayé de changer des choses. Pour moi, le mariage de Harry et Meghan est un “moment Diana”. Vous savez, au fond, une famille royale, c’est une famille comme les autres, avec ses hauts et ses bas, ses rebelles et ses conformist­es, ses chicanes aussi, mais une famille constammen­t scrutée à la loupe…»

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ODD ANDERSEN AGENCE FRANCE-PRESSE Le prince de Galles (au veston gris), Harry, a pris le temps de rencontrer des admirateur­s, à la veille de son mariage avec Meghan Markle, vendredi, à Windsor.
 ?? STEVE PARSONS AGENCE FRANCE-PRESSE ?? La future mariée, Meghan Markle, avec sa mère, Doria Ragland, vendredi. Voir une personne métisse entrer dans la famille royale est fortement symbolique pour plusieurs Britanniqu­es de couleur.
STEVE PARSONS AGENCE FRANCE-PRESSE La future mariée, Meghan Markle, avec sa mère, Doria Ragland, vendredi. Voir une personne métisse entrer dans la famille royale est fortement symbolique pour plusieurs Britanniqu­es de couleur.

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