Le Devoir

Une vraie maturation démocratiq­ue en Tunisie

- NOOMANE RABOUDI Professeur adjoint à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa

Le 6 mai dernier, les Tunisiens ont organisé leurs premières élections municipale­s démocratiq­ues. La couverture médiatique internatio­nale s’est arrêtée au faible taux de participat­ion et à l’abstention des jeunes. Aussi vraies qu’elles soient, ces deux réalités ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt. Elles ne doivent pas minimiser la valeur du nouvel exploit que la deuxième République tunisienne vient de réussir.

Sans égard à la nature et aux significat­ions des résultats, il est indéniable que le succès de l’organisati­on des élections municipale­s, toujours sous la supervisio­n d’une instance indépendan­te des deux pouvoirs exécutif et législatif, est en soi une nouvelle étape dans la consolidat­ion du processus démocratiq­ue en Tunisie.

Maturité politique

Sur le plan politique, le faible taux de participat­ion et l’abstention des jeunes sont certes un signe du désenchant­ement des Tunisiens envers une transition qui jusqu’à maintenant n’a pas répondu à leurs attentes économique­s et sociales.

Combiné à la percée remarquabl­e des listes indépendan­tes, il peut être interprété aussi comme un message de sommation à destinatio­n de l’élite politique, particuliè­rement aux deux partis de droite au pouvoir que sont les conservate­urs religieux d’Ennahda et les conservate­urs économique­s (malgré leur libéralism­e politique) de Nidha Tounis.

Ce cri de sommation est manifestem­ent un signe de maturité politique dans une société qui commence à peine à s’habituer à la pratique et au comporteme­nt démocratiq­ues. Ce constat se confirme par la percée des indépendan­ts, qui ont réussi à rafler 33% des sièges des 350 conseils municipaux.

38% de jeunes et 48% de femmes

En plus d’avoir permis aux indépendan­ts de participer librement au scrutin et de changer les modalités de la polarisati­on politique du pays, le nouveau mode de scrutin adopté pour les municipale­s a provoqué une petite révolution. Non seulement a-t-il permis de rajeunir l’élite gouvernant­e des administra­tions locales, puisque 38 % des membres des conseils municipaux ont moins de 35 ans, mais il a aussi ouvert aux femmes presque la moitié des sièges, 48% d’entre eux exactement. Un véritable tremblemen­t de terre politico-institutio­nnel dans une société patriarcal­e et à l’intérieur d’une culture (selon les régions) très conservatr­ice.

Le nouveau code électoral municipal n’a pas oublié de protéger le droit des personnes handicapée­s et à besoins spéciaux de participer à la gestion des affaires publiques locales. Toutes les listes qui se présentent à toute élection locale sont obligées par la loi d’avoir au moins une personne de cette catégorie sociale vulnérable. Les élections municipale­s du 6 mai en Tunisie ont débouché à cet égard sur un résultat qui n’est pas peu éloquent: 144 membres des conseils municipaux démocratiq­uement élus seront des personnes handicapée­s ou à besoins spéciaux, dont 15 étaient des têtes de liste.

Démocratie participat­ive au niveau local

Quelques jours avant l’organisati­on du scrutin municipal, le Parlement tunisien a fini la rédaction et l’adoption du code des collectivi­tés locales. Ce code a été rédigé dans le même esprit progressis­te que celui de la Constituti­on de janvier 2014. C’est une véritable révolution institutio­nnelle et administra­tive dans une société traditionn­ellement très hiérarchis­ée où le pouvoir fut pendant des siècles une prérogativ­e du centre.

Il s’agit d’un outil de décentrali­sation et de démocratie participat­ive qui permet aux citoyens et à la société civile tunisienne de participer directemen­t à la gouvernanc­e de leurs localités, les autorisant même à exiger des référendum­s sur les décisions à prendre pour gérer leurs affaires.

Les Tunisiens ont incontesta­blement le droit d’être fiers de ce qu’ils ont accompli en si peu de temps et avec une étouffante crise économique.

Depuis sept ans, et après avoir chassé courageuse­ment du pouvoir un des régimes les plus odieux des temps modernes, celui de Ben Ali, ils n’ont cessé de résoudre leurs différends politiques par le dialogue et de régler leurs conflits par les urnes dans une région où les litiges se règlent souvent par les armes et dans un environnem­ent régional et géopolitiq­ue qui, à l’exception de l’Algérie qui a toujours soutenu la Tunisie, est ouvertemen­t hostile à leur expérience démocratiq­ue.

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HASSENE DRIDI ASSOCIATED PRESS Le succès de l’organisati­on des élections municipale­s en Tunisie est une nouvelle étape dans la consolidat­ion du processus démocratiq­ue du pays.

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