Famille, ma douleur
Cette fable empreinte de fantaisie aborde avec humour la question de l’inné et de l’acquis
Quel facteur, dès la naissance, influencera davantage la personne que l’on deviendra? L’inné, ou l’acquis? Dans Birthmarked, ou les trois petits cobayes d’Emanuel Hoss-Desmarais, un couple de scientifiques décide d’aller très loin pour prouver que le bagage génétique n’est pas une fatalité et qu’à terme, on peut aspirer à être qui l’on veut.
Catherine (Toni Collette) et Ben (Matthew Goode) sont tous deux des rejetons de scientifiques célèbres. Leur idée consiste à élever Luke, leur enfant à naître, comme un artiste, donc à l’opposé de ses prédispositions familiale. Afin de disposer d’un échantillonnage plus étoffé, Catherine et Ben adoptent en même temps Maya et Maurice, issus, pour elle, d’un clan peu avantagé côté méninges, et pour lui, d’une lignée d’êtres violents. Or, c’est le dessein de leurs parents adoptifs, Maya deviendra une scientifique et Maurice, un pacifiste.
Pour financer ce qui se veut l’expérience d’une vie, ou plutôt de trois : Gertz (Michael Smiley), un mécène peu recommandable, détail qui a d’office échappé à Catherine et Ben, trop heureux d’aller s’installer dans une maison isolée avec leur progéniture qu’ils entendent chérir, expérimentation ou pas. En disant cela, Catherine ne semble d’ailleurs pas se rendre compte qu’elle formule une hypothèse, c’est-à-dire qu’avant l’hérédité et le milieu, c’est l’amour qui prime.
Évidemment, Catherine et Ben sont tous les deux, inconsciemment, en réaction par rapport à leurs propres héritages familiaux.
Évidemment, encore, ce n’est qu’une question de temps avant que leur marmaille se révolte.
Coécrit par Marc Tulin et Emanuel Hoss-Desmarais (Whitewash), qui l’a réalisé avec force inventivité, Birth- marked, ou les trois petits cobayes évolue dans un univers un brin décalé. Campé durant l’hiver 1989 (et filmé au Québec), le film multiplie les apartés excentriques, tels les batifolages de papa-maman. À cet égard, on sent tour à tour les influences du John Irving de Hotel New Hampshire et du Wes Anderson de La famille Tenenbaum.
Distance émotionnelle
Le ton de «fantaisie réaliste» est bien maintenu, notamment grâce au personnage de Samsonov (Andreas Apergis), ancien champion olympique russe devenu improbable nounou. Les enfants acteurs (Jordan Poole, Megan O’Kelly, Anton Gillis-Adelman) sont qui plus est charmants et, aspect primordial, Goode et Collette se fondent avec aisance dans ce monde construit.
La seconde, en particulier, est comme à son habitude excellente et apporte une dimension viscérale à l’ensemble.
Ensemble qui, hélas, ne convainc que par intermittence. Plombé par un rythme capricieux, le scénario pointe vers une apothéose dramatique, une inéluctable confrontation… Puis le moment passe, tiède. Pourtant, voilà un film où un enchaînement de mauvaises décisions parentales se révèle relativement bénin puisque, tout du long, un amour sincère a prévalu — la thèse du film.
Et justement, en dépit de ce constat qu’il dresse, Birthmarked maintient une distance émotionnelle, comme incapable d’embrasser la composante sentimentale de son ADN.
Comme si le cinéaste était en réaction par rapport à son propre film.
Birthmarked, les trois petits cobayes (V.O. s.-t.f. de Birthmarked)
★★★
Comédie fantaisiste d’Emanuel HossDesmarais. Avec Toni Collette, Matthew Goode, Fionnula Flanagan, Michael Smiley, Suzanne Clément, Andreas Apergis. Québec–Irlande, 2017, 90 minutes.