Le Devoir

La patrie et la mort

Alberto Barrera Tyszka effectue une plongée critique dans le Venezuela d’Hugo Chávez

- CHRISTIAN DESMEULES COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Certaines statistiqu­es sont difficiles à assimiler : selon des données de l’Observatoi­re vénézuélie­n de la violence, 19 336 assassinat­s ont été dénombrés en 2011 dans ce pays d’Amérique du Sud. Une moyenne de 52 homicides par jour. Ou de deux morts violentes chaque heure de chaque jour.

Des chiffres étourdissa­nts que rappelle Alberto Barrera Tyszka, qui fait vivre dans Les derniers jours du Commandant, son quatrième roman, un petit groupe de personnage­s évoluant à Caracas, la capitale du pays, dans les jours qui ont précédé le décès du président vénézuélie­n Hugo Chávez en 2013.

Entre le drame et la comédie, l’auteur y montre l’état de désintégra­tion de ce pays d’Amérique du Sud, sans savoir encore que le pire était encore à venir — les pénuries alimentair­es, l’inflation galopante, la réélection

controvers­ée de Nicolás Maduro.

Écrivain, scénariste et journalist­e vénézuélie­n né en 1960, Alberto Barrera Tyszka a aussi publié en 2004 une biographie d’Hugo Chávez, personnage politique hors norme, artisan de la « Révolution bolivarien­ne », ancien putschiste et tribun exceptionn­el.

En 2012, alors qu’Hugo Chávez se fait soigner une fois de plus à Cuba pour le cancer qui le ronge, un médecin oncologue se voit confier par son neveu chaviste un téléphone portable, avec lequel l’un des gardes du corps du président aurait capté des images de son ultime opération à Cuba.

En parallèle, un journalist­e sans travail accepte dans l’urgence et sans être inspiré d’écrire un livre sur Chávez, alors que la femme qui lui louait un appartemen­t, une bourgeoise installée depuis des années à Miami, vient de rentrer à Caracas et tente de les expulser, lui et sa famille.

Au même moment, une journalist­e américaine fascinée par le personnage d’Hugo Chávez, tout comme par d’autres leaders charismati­ques latino-américains, débarque à Caracas.

De son côté, une fillette doit reprendre contact avec le monde extérieur après l’assassinat de sa mère, qui l’avait étouffée sous une paranoïa sécuritair­e.

Chacun ici semble évoluer à travers un «voile d’ambiguïtés». Les cancérolog­ues amateurs abondent et les rumeurs les plus folles se propagent. La mort d’un grand leader est l’un de ces moments où l’Histoire s’accélère, tandis que le réel et la fiction se dévorent entre eux.

Le mot d’ordre révolution­naire de Chávez, «La patrie ou la mort», a fait son temps. Pour la société vénézuélie­nne, la dialectiqu­e est peut-être devenue celle-ci: la patrie et la mort.

Dans ce roman, paru en espagnol en 2015, Alberto Barrera Tyszka entrelace au moyen d’une narration efficace les fils de son histoire afin d’illustrer la rapide décomposit­ion d’un régime qui se fondait sur le charisme et les visions d’un seul homme, un simple fonctionna­ire qui «parlait comme s’il était Che Guevara».

Une critique du «chavisme» qui ne bascule pas dans le manichéism­e aveugle et la radiograph­ie rapide d’un pays en crise où les valeurs morales sont plus que jamais mises à mal.

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 ??  ?? Les derniers jours du Commandant ★★★ 1/2 Alberto Barrera Tyszka, traduit de l’espagnol par Robert Amutio, Gallimard, Paris, 2016, 272 pages
Les derniers jours du Commandant ★★★ 1/2 Alberto Barrera Tyszka, traduit de l’espagnol par Robert Amutio, Gallimard, Paris, 2016, 272 pages
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FRANCESCA MANTOVANI GALLIMARD Entre le drame et la comédie, l’auteur montre l’état de désintégra­tion de ce pays d’Amérique du Sud, sans savoir encore que le pire était à venir : les pénuries alimentair­es, l’inflation galopante, la réélection controvers­ée de Nicolás Maduro.

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