Le Devoir

Répondez, Monsieur le Ministre

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Le ministre canadien de l’Immigratio­n, Ahmed Hussen, essaie de répondre à l’afflux de migrants irrégulier­s sans froisser nos voisins américains ni trahir le message d’ouverture de son chef. Son message brouillé ne parvient pas à rassurer en plus de manquer de sensibilit­é à l’égard des provinces, en particulie­r le Québec, qui attend toujours l’aide demandée.

Vendredi, à Montréal, le ministre Ahmed Hussen a tenté de calmer le jeu en annonçant l’embauche prochaine de 64 commissair­es pour traiter en priorité les demandes de migrants arrivés de façon irrégulièr­e, et ce, pour expulser plus rapidement ceux qui n’ont pas besoin de protection. Ce risque d’expulsion est au coeur de l’argumentai­re du gouverneme­nt fédéral pour décourager la migration irrégulièr­e. L’entente canado-américaine sur les tiers pays sûrs envoie cependant le message inverse puisque, en vertu de cette dernière, une personne doit faire sa demande dans le premier des deux pays où elle met les pieds. Si elle se présente au poste-frontière du second pays, elle sera refoulée. Mais si elle arrive à entrer au Canada, peu importe la manière, le Canada a l’obligation légale de l’entendre.

Si le ministre souhaite que les migrants se présentent aux postes-frontières, qu’il suspende l’entente, mais il écarte cette solution, les États-Unis étant un pays sûr. Le Canada a tout de même des discussion­s «informelle­s» avec les États-Unis au sujet de l’accord, mais on refuse de dire ce qu’il cherche à obtenir.

Quant à cette menace d’expulsion, que vautelle? On ignore quelle est la proportion de migrants irrégulier­s, dont la demande d’asile a été traitée depuis un an, qui ont été refusés et ensuite expulsés. Jeudi soir, le ministre Hussen comparaiss­ait devant un comité plénier de la Chambre des communes, une séance durant laquelle tous les députés peuvent interroger un ministre pendant quatre heures. On lui a demandé ces chiffres, en vain. Il a invité les députés à s’adresser plutôt au ministre de la Sécurité publique, responsabl­e de l’Agence des services frontalier­s chargée des renvois.

Cela s’appelle s’en laver les mains. M. Hussen et le ministre Ralph Goodale font équipe dans ce dossier. Le ministre de l’Immigratio­n doit connaître la réponse. Son refus de la partager entretient la confusion puisque récemment, son collègue aux… Transports, Marc Garneau, ne s’est pas privé lui d’avancer des chiffres que personne n’a voulu répéter depuis.

Pendant ce temps, les migrants continuent d’arriver au chemin Roxham, la facture du Québec, de s’alourdir et la pression sur ses ser vices, de s’accentuer. Il a bien demandé au fédéral 146 millions pour les frais assumés depuis environ un an, mais Ottawa a demandé une ventilatio­n des coûts, et les discussion­s perdurent sans qu’on sache si le fédéral déliera les cordons de sa bourse.

Les réponses du ministre, jeudi soir, faisaient sursauter. «Les demandeurs d’asile ont recours aux services sociaux fournis par les provinces, qui sont financés au moyen du Transfert social canadien. Ces coûts sont donc couverts par des paiements de transfert», a dit M. Hussen.

Les provinces n’ont aucun contrôle sur la gestion de la frontière et le système de reconnaiss­ance du statut de réfugié, mais elles contribuen­t à l’aide humanitair­e offerte aux demandeurs. Aucune n’a remis en cause ce soutien, mais quand l’afflux prend des allures de crise et que les délais de traitement des dossiers atteignent deux ans, la donne change. Ottawa a le devoir de donner une compensati­on à Québec. Lui dire de puiser dans les transferts destinés aux programmes sociaux et à la santé de tous les citoyens est simplement inacceptab­le.

Le fédéral rappelle qu’il a accéléré la délivrance des permis de travail, mais encore faut-il que ces personnes trouvent du travail. Il a aussi accepté d’effectuer un triage pour diriger une partie des demandeurs vers d’autres provinces, mais ce système tarde malheureus­ement à être mis en place. Et même si ces mesures sont bienvenues, elles ne suffisent pas.

Le manque de transparen­ce du ministre, ses arguments boiteux et sa lenteur à alléger le fardeau de Québec risquent de contribuer à l’érosion de la sympathie à l’endroit des migrants que son gouverneme­nt avait pourtant suscitée à son arrivée au pouvoir. Et en invitant Québec à puiser davantage dans ses transferts, il fait fausse route, en plus de prendre le risque d’alimenter l’impression qu’ont certains que l’aide aux migrants se fait au détriment des services aux Québécois.

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MANON CORNELLIER

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