Le Devoir

Les familles à risque de discrimina­tion

Québec doit modifier la Charte, estime la Commission des droits de la personne

- ISABELLE PARÉ

Pour favoriser la conciliati­on travail-famille, Québec doit rapidement modifier la Charte des droits et libertés de la personne pour que la province ne soit plus la seule au Canada à ne pas considérer la «situation familiale» comme un motif de discrimina­tion prohibé par la loi, plaide la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ).

«Il est maintenant incontourn­able d’adapter la Charte […] aux enjeux actuels de la conciliati­on travail-famille », fait valoir le directeur par intérim de l’organisme, Philippe-André Tessier, qui a déposé cette semaine un mémoire en ce sens lors des consultati­ons tenues sur le projet 176 modifiant la Loi sur les normes du travail.

Contrairem­ent aux lois des autres provinces, et à la Charte canadienne des droits et libertés, la Charte québécoise ne prévoit aucun recours pour les personnes faisant l’objet d’une injustice au travail, dans la recherche d’un logement ou l’obtention de tout autre service, en raison de leur situation familiale ou parentale.

Or, selon M. Tessier, des plaintes pour discrimina­tions liées à la situation familiale sont fréquemmen­t portées à l’attention de la Commission, dont une dizaine depuis le seul mois de janvier dernier, et ce, bien que ce motif ne fasse pas partie de ceux prévus par la Loi pour considérer le bien-fondé d’une plainte.

« C’est une problémati­que réelle qui touche particuliè­rement les femmes, qui risquent de souffrir de double

«

C’est une problémati­que réelle qui touche particuliè­rement les femmes, » qui risquent de souffrir de double discrimina­tion

Philippe-André Tessier, directeur par intérim de la CDPDJ

discrimina­tion. Mais actuelleme­nt, en droit québécois, c’est la fin de l’histoire », affirme M. Tessier.

Recours

La demande de la CDPDJ fait suite à une décision de la Cour d’appel qui avait statué en 2013 que la « situation familiale» ne pouvait être assimilabl­e à un motif de discrimina­tion reconnu par la Charte québécoise.

Les inconvénie­nts vécus au travail en raison d’un congé ou d’obligation­s parentales ne peuvent en ce sens faire l’objet d’un recours contre un employeur.

Cette interpréta­tion restrictiv­e fait en sorte que les employeurs du Québec ne sont pas tenus d’accommoder des employés responsabl­es de la garde d’enfants ou des soins d’un proche malade, en leur offrant des horaires adaptés. Résultat: ces travailleu­rs sont souvent pénalisés du point de vue des revenus et des possibilit­és d’avancement.

Pour la CDPDJ, l’ajout de ce motif de discrimina­tion garantirai­t aux travailleu­rs concernés une certaine protection juridique.

Affaire Johnstone

C’est déjà le cas au fédéral, dont la Cour d’appel a conclu en 2014 dans l’affaire Johnstone qu’un employeur se devait d’être flexible à l’égard d’une employée qui réclamait un quart de travail fixe sur trois jours pour assurer la garde de ses deux jeunes enfants.

L’employeur y avait consenti, mais sous réserve d’un statut à temps partiel, la privant de divers avantages sociaux.

En 2017, la «situation de famille» comptait pour 12% des plaintes faites auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, soit pas moins de 1083 plaintes.

La dernière modificati­on faite à la Charte québécoise fut l’ajout, en 2016, de l’identité de genre parmi les motifs de discrimina­tion interdits.

Le Réseau Québec Famille, qui a fait la même recommanda­tion en 2016, a applaudi à cette demande, tout comme le Front d’action populaire en réaménagem­ent urbain (FRAPRU), qui reçoit fréquemmen­t des témoignage­s de familles qui se voient refuser des logements en faveur de couples sans enfants ou de personnes âgées.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Selon Philippe-André Tessier, des plaintes pour discrimina­tions liées à la situation familiale sont fréquemmen­t portées à l’attention de la Commission.

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