Le Devoir

Solliciter les entreprise­s pour améliorer les pistes cyclables

Une campagne londonienn­e s’est tournée vers les employeurs pour favoriser les déplacemen­ts à vélo

- FLORENCE SARA G. FERRARIS

Le réseau londonien de voies cyclables rapides fait aujourd’hui des envieux dans le monde entier. Dépeint d’abord par plusieurs comme étant trop ambitieux et nuisible pour l’activité économique, il a failli être mis de côté par l’administra­tion municipale. C’est finalement grâce à une forte mobilisati­on du monde des affaires qu’il a pu prendre forme.

«Le réseau cyclable londonien tel qu’on le connaît aujourd’hui a bien failli ne jamais voir le jour», lance Chris Kenyon, l’un des militants de CyclingWor­ks, une campagne populaire lancée en 2014 pour soutenir l’implantati­on de voies cyclables rapides et protégées dans la capitale britanniqu­e. «Quand le maire de l’époque a présenté le plan «d’autoroutes pour vélos» pour la première fois, certaines critiques ont été si vives — dont celle de la Chambre de commerce de Londres — qu’on s’est dit qu’il fallait agir, qu’il fallait offrir un contrepoid­s convaincan­t pour assurer la survie du projet.»

De passage à Montréal jeudi dernier à l’invitation de Vélo Québec, le militant de longue date décrit avec une fierté évidente l’importante mobilisati­on que ses collègues et lui ont réussi à mettre sur pied. « Les voix dissidente­s sont souvent celles qu’on entend le plus, soutient-il en lâchant un soupir. Et dans une ville comme Londres, quand elles affirment que le vélo et ses infrastruc­tures peuvent avoir un impact négatif sur l’activité économique, je vous laisse imaginer ce qui peut se passer dans la tête des politicien­s responsabl­es de ces dossiers. »

D’employés à employeur

Pour renverser la vapeur, l’homme d’affaires et ses collègues ont décidé de carrément

s’adresser aux entreprise­s, en leur demandant de soutenir publiqueme­nt le droit de leurs employés de se rendre au travail à vélo en toute sécurité. Étalée sur six semaines, la campagne a d’abord permis de sensibilis­er des centaines de travailleu­rs à vélo rencontrés directemen­t dans les rues de Londres à l’heure de pointe matinale. Ce sont ces derniers qui ont ensuite transmis le message à leur patron.

«On s’est dit que, si ça venait de l’intérieur, ce serait plus efficace, avance Chris Kenyon. Et ça s’est avéré! En un mois et demi, nous avons obtenu le soutien officiel de près de 200 p.-d.g. d’entreprise­s, dont Microsoft UK, Deloitte et Coca-Cola Europe. On a réussi à convaincre les quatre grands hôpitaux de la ville, l’opéra national, les banques, les université­s… Même certains médias qui avaient été très critiques au début, comme le Financial Times, ont finalement rejoint le mouvement. »

Quatre ans plus tard, les deux principaux axes du réseau cyclable rapide présentés en 2014 sont maintenant accessible­s. Ils permettent d’ailleurs chaque jour à des centaines de milliers de cyclistes de traverser la capitale britanniqu­e du nord au sud et d’est en ouest, sans se soucier du trafic automobile.

Dans certains secteurs, on parle d’une augmentati­on de 70% du nombre de cyclistes. C’est le cas, notamment, sur le Blackfriar­s Bridge, qui enjambe la Tamise à la hauteur de la City, le district financier londonien. Aux heures de pointe, les travailleu­rs à vélo y sont aujourd’hui largement plus nombreux que ceux qui se déplacent en voiture ou en transport en commun.

Solution économique

Pour Chris Kenyon, cette forte mobilisati­on du milieu des affaires s’explique assez simplement. Selon lui, toutes les entreprise­s — peu importe leur marge de profit et leur masse salariale — gagnent à ce que les villes fassent plus de place aux vélos dans leurs rues. «C’est un mode de transport qui permet à leurs employés d’éviter les bouchons de circulatio­n et ainsi tous les inconvénie­nts qui en découlent, précise l’homme d’affaires de 43 ans. Ils arrivent donc moins fatigués et moins stressés. Ils sont plus ponctuels et ont généraleme­nt une meilleure concentrat­ion. Certaines études ont même démontré que les gens qui se rendent au travail en pédalant prennent moins de congés de maladie. »

Ces gains humains, ajoutet-il, auront, ultimement, un impact sur la productivi­té de l’entreprise et ils se font pratiqueme­nt à coût nul. « Ce sont les pouvoirs publics qui décident de consacrer une partie de leur budget au développem­ent d’infrastruc­tures cyclables, fait remarquer l’informatic­ien de formation. Les compagnies, elles, ne font que récolter les fruits de ces changement­s urbains. »

Le militant londonien met toutefois en garde les administra­tions publiques — et les cyclistes — qui voudraient voir apparaître des changement­s trop rapidement. «C’est facile de mal faire les choses, mais parfois, il vaudrait mieux prendre le temps et s’assurer qu’on met en place un réseau vraiment sécuritair­e. »

Selon lui, par exemple, il est préférable d’attendre quelques années supplément­aires pour être capable de construire des pistes en site propre ou protégées par un mince terre-plein plutôt que d’opter pour de la simple peinture. «C’est une «solution facile» qui donne une impression de sécurité, mais dans la réalité, ça ne change strictemen­t rien.»

Ainsi, pour que des impacts positifs soient quantifiab­les, explique-t-il, il faut que les infrastruc­tures soient suffisamme­nt sécuritair­es pour que les femmes, les enfants et les personnes âgées décident à leur tour de choisir le vélo pour leurs déplacemen­ts quotidiens. «Le secret, c’est de penser notre réseau pour que des cyclistes de 8 et 88 ans se sentent à l’aise. Si eux pédalent en toute sécurité, on aura gagné notre pari. »

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JUSTIN TALLIS AGENCE FRANCE-PRESSE Depuis l’implantati­on de voies cyclables rapides et protégées, on parle d’une augmentati­on de 70% du nombre de cyclistes dans certains secteurs de la capitale britanniqu­e.

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