Ouellet désavouée par les militants
Martine Ouellet a perdu son pari : la chef du Bloc québécois n’a obtenu l’appui que du tiers des bloquistes à son vote de confiance. Tout porte à croire qu’elle démissionnera de son poste lundi. Ses partisans se sont dits déçus; ses opposants ont lancé un appel à la réconciliation. Un appel qui aurait déjà séduit deux des démissionnaires qui songent à revenir au Bloc québécois, maintenant que Mme Ouellet n’y sera plus.
La défaite a sonné le camp de Martine Ouellet, qui était visiblement ébranlé dimanche à Montréal. Seuls 32% des bloquistes ont voté pour renouer leur confiance envers la chef, contre 65 % des membres qui s’y sont opposés. Mme Ouellet, qui devait participer à l’annonce de ces résultats aux bureaux du Bloc, a annulé sa présence à l’événement et refusé tout commentaire. Elle réagira seulement lundi matin.
C’est le vice-président du parti, Gilbert Paquette, qui lui a annoncé la nouvelle. Martine Ouellet était «évidemment très déçue», a-t-il relaté. Mais tant M. Paquette que les alliés de la chef ont refusé de confirmer qu’elle céderait son poste. La semaine dernière, elle avait
affirmé qu’il lui faudrait obtenir plus de 50% des voix aux deux questions du référendum pour demeurer chef. « Je peux vous assurer que Mme Ouellet a respecté la démocratie du parti», a laissé entendre M. Paquette, en se désolant que le mouvement indépendantiste allait « souffrir de cette décision ».
Bien qu’il ait fait campagne contre Martine Ouellet, le député et président du Bloc, Mario Beaulieu, a salué son ancienne alliée devenue sa rivale. Et il a aussitôt invité les démissionnaires qui avaient claqué la porte au parti, sous la gouverne de Mme Ouellet, à y revenir après son départ. «On va travailler ensemble pour pouvoir arriver à une entente pour faire un front uni au palier fédéral.» En vertu des statuts du Bloc, c’est Mario Beaulieu qui deviendrait chef intérimaire puisqu’il préside le parti.
Les députés Michel Boudrias et Simon Marcil contemplent déjà un retour au bercail, selon nos sources. « J’entends ouvrir les discussions pour qu’il y ait une seule voix indépendantiste à Ottawa», a confirmé M. Boudrias au Devoir, en se disant soulagé du résultat du référendum bloquiste. « Je ne veux pas retourner dans la chicane. Mais il y a un enthousiasme et une ouverture certaine de ma part», a-til avoué, en admettant que Simon Marcil et lui étaient comme les deux doigts de la main. M. Marcil n’a pas rappelé Le Devoir.
Le groupe des démissionnaires n’a pas réagi à la défaite de Martine Ouellet dimanche.
L’ancien chef bloquiste, Gilles Duceppe, a appelé tous les joueurs à se rallier. Car, autrement, il sera trop tôt pour être vraiment rassuré quant au sort de son ancienne formation. «On ne peut pas être rassuré tant que tous les intervenants n’auront pas créé l’unité, a-t-il fait valoir au Devoir. Il faut mettre la cause de l’avant et ne pas se préoccuper de son nombril. »
Mario Beaulieu a plaidé avoir bon espoir qu’il parvienne à convaincre les sept députés démissionnaires de le rejoindre à nouveau au Bloc québécois. La crise « a fait très mal ; ça a causé des blessures», a-t-il reconnu. «Mais le parti va survivre», a-t-il avancé. «On est capables de se relever de ça. J’en suis convaincu. Il faut qu’on se parle, les différents groupes qui se sont entre-déchirés. Mais on est capables », a quant à lui argué Yves Perron, président de la circonscription de Berthier–Maskinongé et l’un des porte-parole du camp du non au référendum.
La crise est-elle réglée?
Dans le camp adverse, la députée Marilène Gill qui était demeurée fidèle à Martine Ouellet a elle aussi souhaité que tous les bloquistes se rallient pour mettre enfin un terme à la crise qui déchire le parti depuis cet hiver.
Mais l’un des enjeux ne semblait toujours pas réglé, à l’issue du vote. La première question portait sur le mandat du Bloc, à savoir si le parti devrait défendre l’indépendance sur toutes les tribunes, à toutes les occasions. Sur les 59% des membres bloquistes qui ont voté au référendum (8680 personnes), 65% ont appuyé cette orientation du parti tandis que 39 % s’y sont opposés.
L’équipe de Martine Ouellet y a vu un appui sans équivoque à la vocation que voulait défendre la chef. «Là, c’est clair. Ce que les gens veulent, c’est une promotion assumée de l’indépendance», a tranché Marilène Gill. « La question est close. On va pouvoir avancer dans le débat», a renchéri le député Xavier Barsalou-Duval.
Mais dans le camp du non, Yves Perron jugeait que «ce n’est pas très élevé comme pourcentage, quand on pense que c’est un vote dans un bassin de gens qui sont à 100 % indépendantistes ».
Mario Beaulieu a nié que le débat ne soit toujours pas clos. Il n’a jamais été question de faire la promotion de l’indépendance sans défendre les intérêts du Québec, a-t-il martelé. Lorsqu’il était chef du Bloc, de 2014 à 2015, M. Beaulieu avait lui aussi entamé un virage pour une défense plus prononcée de la souveraineté. Il avait appelé Gilles Duceppe en renfort et lui avait cédé sa place à la tête du parti, à quelques mois de l’élection fédérale de 2015. «Il n’y a aucun lien entre le fait que j’aie cédé ma place et l’approche proactive à l’indépendance», a-t-il affirmé dimanche, en expliquant avoir plutôt quitté son poste en raison d’une popularité grandissante du NPD.
Reste que le règne de Mario Beaulieu ne s’était pas fait sans quelques tensions, lui aussi, au sein du caucus bloquiste.
Yves Perron a minimisé ces différends sur la mission du Bloc. «Dans chaque parti politique, il y a toujours, et il y aura toujours, des factions qui ont des tendances différentes. Mais notre base, ce qui nous unit, c’est qu’on est des indépendantistes qui veulent que ça arrive et qui veulent défendre les intérêts du Québec. »
Outre le retour des sept élus démissionnaires, les bloquistes plancheront maintenant sur une refondation du parti. L’idée avait été lancée par le Forum jeunesse du Bloc québécois et approuvée en conseil général ce printemps. Un grand rassemblement sera organisé, fin juin ou début juillet, pour jeter les bases d’un Bloc québécois 2.0.
Quant à Martine Ouellet, son allié Gilbert Paquette s’est désolé qu’elle n’ait pas réussi à convaincre les membres du Bloc de lui réitérer leur confiance. Il a imputé la faute à une «campagne médiatique» contre la chef. «À cause de tout ce battage publicitaire, je pense que les gens se sont dit que Mme Ouellet n’allait pas pouvoir rassembler. Ça a été dit à moult reprises. C’est déplorable parce qu’on va se priver d’une extraordinaire porteparole. »
[La crise] a fait très mal, ça a causé des blessures. Mais le parti va survivre
Mario Beaulieu