Le Devoir

Rome montre la voie Une chronique de François Brousseau.

- François Brousseau est chroniqueu­r d’informatio­n internatio­nale à Ici Radio-Canada. francobrou­sso@hotmail.com FRANÇOIS BROUSSEAU

L’Italie est aujourd’hui au coeur des déchiremen­ts de l’Europe et du monde occidental. Pendant que Donald Trump abolit la morale en politique, isole les États-Unis, crache sur ses alliés et dynamite le commerce mondial, pendant qu’un G7 de plus en plus insignifia­nt et fractionné se réunit au Québec, ce sont les événements en cours à Rome qui résument le mieux les tendances funestes qui traversent une bonne partie de l’Occident.

L’arrivée au pouvoir des populistes — la Ligue xénophobe et anti-européenne de Matteo Salvini; le Mouvement 5 étoiles (M5S) écologiste et anti-austérité de Luigi di Maio — représente, dans la troisième économie d’Europe, la possibilit­é sérieuse d’une sortie de route.

Par sa combinaiso­n d’hostilité à l’austérité, à l’immigratio­n, à l’Europe, par ses sympathies prorusses, le gouverneme­nt investi vendredi à Rome marque une énorme rupture potentiell­e pour l’Italie, pour l’Europe, pour le monde.

Les Italiens viennent de donner le pouvoir à un premier ministre, Giuseppe Conte, qui sera contrôlé, voire dominé, par les deux chefs de partis qui l’ont placé là, qui auront eux-mêmes des ministères-clés. Autour de la table, ces deux-là donneront le ton, même si on a par ailleurs nommé quelques ministres «euro-compatible­s » pour donner le change.

Dans ce duo Salvini-Di Maio, il y en a un qui, de plus en plus, domine l’autre… et ce n’est pas celui qu’on pense, si on se base sur les chiffres de la dernière élection, début mars: le M5S avait alors obtenu 32% des voix, et la Ligue 17%.

Pourquoi les accents anti-migrants, anti-Bruxelles et anti-impôts de la Ligue l’emportent-ils aujourd’hui sur le discours du M5S, plus porté sur la démocratie directe, l’environnem­ent ou la redistribu­tion sociale? Parce que, depuis le 4 mars, Matteo Salvini s’est révélé un génie de la communicat­ion, fort en gueule aux manières de brute… ce que n’est pas Luigi di Maio.

Depuis trois mois, la Ligue a monté en flèche dans les sondages — surtout lorsque tel politicien allemand a osé dire: «Lorsque les marchés financiers les auront bien avertis, les Italiens sauront comment voter… »

Un tel discours, dans la bouche d’un Teuton arrogant (il ne s’agit pas de Mme Merkel), c’est du pain bénit pour Salvini. Fin mai, les sondages le donnaient presque à égalité avec le M5S. L’addition de ces deux partis, 50% au soir du 4 mars, s’envole maintenant dans les 55, voire 60% des suffrages. Voilà où en est aujourd’hui l’Italie.

L’allusion aux marchés financiers est une allusion aux taux d’intérêts sur la dette italienne, qui montent jusqu’à dépasser de 3% les taux allemands. Une vraie crise financière en Italie, ce serait la Grèce… en dix fois pire. L’Italie est un pays plus riche, plus diversifié, plus industrial­isé que la Grèce périphériq­ue et touristiqu­e. Mais elle n’en demeure pas moins très vulnérable financière­ment.

Des centaines de milliards d’euros ont été mobilisés — FMI, BCE, etc. — ces dernières années pour la Grèce (avec un résultat certes discutable)… Mais pour l’Italie, si le pire arrivait, il en faudrait dix fois plus: cet argent par billions (milliers de milliards), il serait tout simplement introuvabl­e.

Et il y a la tragique question des migrants, encore ramenée dans l’actualité par le drame des Tunisiens partis de Sfax vers l’Italie: au moins 48 personnes se sont noyées dans la soirée de samedi.

On a tendance à oublier que les Italiens du Sud, qui sont sur la ligne de front en Sicile, en Calabre, à Lampedusa, ont montré beaucoup de générosité dans l’accueil aux réfugiés au cours des dernières années. Mais l’Italie a été ignorée, délaissée par le reste de l’Europe — Suède et Allemagne exclues — où l’on s’est accroché au principe selon lequel les pays du front sont responsabl­es des migrants qui arrivent.

D’où cet abandon, ce ressentime­nt qui fait aujourd’hui le lit de la ligne dure: «La Tunisie, a dit dimanche Matteo Salvini, est un pays démocratiq­ue, mais qui n’exporte pas des gentlemans. Il exporte plutôt ses fripouille­s.» Mais pour les migrants du sud, a-t-il ajouté, menaçant, «l’heure des aubaines et des gueuletons gratuits est terminée ».

Crise financière à l’horizon. Crise des migrants sans solution. Crise de la représenta­tion politique. Tout est là. L’Italie est un pays à suivre… bien plus que le G7.

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