Le Devoir

L’inquiétant retour du gaz qui a causé le trou dans la couche d’ozone

Les émissions de CFC-11, une substance bannie depuis 1987, ont mystérieus­ement commencé à augmenter à partir de 2013. Elles émanent d’Asie, a découvert une équipe de chercheurs.

- JULIE ZAUGG

Stephen Montzka n’en croyait pas ses yeux. Le scientifiq­ue, qui fait partie de l’équipe internatio­nale chargée de sur veiller les quantités de CFC dans l’atmosphère, venait de recevoir les résultats des mesures effectuées par une douzaine de stations réparties autour du globe. Et ils n’avaient aucun sens. Les quantités de CFC-11, un membre de cette famille de gaz interdits depuis 1987 par le protocole de Montréal, auraient dû diminuer de 1,1 % par an, selon ses prédiction­s. Mais entre 2015 et 2017, ce déclin a atteint à peine 0,4 % par an.

« Les concentrat­ions de CFC11 étaient également plus élevées dans l’hémisphère Nord», relate le scientifiq­ue basé dans le Colorado. De l’ordre de 50%. Plus étrange encore, la station située au sommet du Mauna Loa, un volcan au coeur de l’archipel hawaïen, a commencé à repérer dès 2013 des plumets de pollution contenant du CFC-11. «En nous appuyant sur la modélisati­on des flux aériens et des vents dans le Pacifique, nous avons pu en retracer le parcours et déterminer qu’ils provenaien­t d’Asie de l’Est», indique Stephen Montzka.

Lui et son équipe ont calculé que les émissions de CFC-11 avaient crû de 25% entre 2014 et 2016, selon un article récemment publié dans la revue Nature. Or, la production de ce gaz autrefois utilisé dans la constructi­on pour la production de mousses isolantes, dans les aérosols, comme solvant et comme liquide de réfrigérat­ion a entièremen­t cessé en 2010.

«Il en reste dans certains bâtiments ou frigidaire­s anciens, indique Paul Newman, un chercheur à la NASA qui appartient au comité chargé de surveiller l’applicatio­n du protocole de Montréal. Lorsqu’on les détruit, une partie de ce CFC-11 est libérée dans l’atmosphère.» Mais pour produire les effets observés, il aurait fallu que la démolition d’immeubles en Asie double entre 2012 et 2013, ce qui ne semble pas avoir été le cas.

Air conditionn­é

Autre possibilit­é, le CFC-11 aurait été généré par erreur, en tant que sous-produit d’un autre procédé industriel. « Cela peut se passer lorsqu’on fabrique du chlorodifl­uorométhan­e (R-22), un gaz interdit en Europe mais qui continue d’être utilisé dans les pays en développem­ent pour produire le fluide de réfrigérat­ion utilisé dans les airs conditionn­és », explique Stefan Reimann, un chercheur spécialisé dans les

CFC au Laboratoir­e fédéral d’essai des matériaux et de recherche de Dübendorf. Mais cette hypothèse ne paraît pas non plus tenir la route. «Les quantités de gaz que nous avons repérées dans l’atmosphère sont trop importante­s», glisse Stephen Montzka.

Cela laisse une seule option : quelqu’un produit et libère de vastes quantités de ce gaz banni, en contravent­ion du protocole de Montréal. «Lorsque le CFC-11 a été interdit, les industriel­s qui avaient l’habitude de l’utiliser se sont tournés vers des produits de substituti­on, mais ceux-ci sont plus chers à produire», note Paul Newman. Il rappelle que ce gaz possède de nombreux usages et n’a ni odeur ni couleur, ce qui rend ses émissions difficiles à repérer.

La plupart des experts que nous avons interrogés pensent que la Chine est le candidat le plus probable. « Ce pays possède l’une des plus importante­s industries de la constructi­on du monde et la majeure partie du CFC-11 qui y était produit avant son interdicti­on en 2007 servait à fabriquer des mousses isolantes», relève Li Shuo, chargé de la politique climatique pour Greenpeace en Asie de l’Est.

Mais il rappelle aussi que la production de CFC-11 nécessite de lourdes et coûteuses installati­ons industriel­les. «Ce n’est pas quelque chose que l’on peut faire discrèteme­nt, dans une usine artisanale, sans que les autorités le remarquent », juge-t-il.

Contreband­e

Reste que l’empire du Milieu a déjà abrité plusieurs cas de contreband­e impliquant ce gaz. «En 2014, 18 tonnes métriques de CFC-11 ont été exportées illégaleme­nt en Russie depuis la Chine dans des cylindres frauduleus­ement étiquetés pour faire croire qu’ils contenaien­t de l’éthylène glycol», détaille Clare Perry, de l’ONG Environmen­tal Investigat­ion Agency.

La même année, des aérosols contenant du CFC-12, une autre substance bannie, ont été découverts en Chine. Ils étaient vendus à des producteur­s automobile­s pour alimenter les systèmes de ventilatio­n des voitures.

La présence accrue de CFC11 dans l’atmosphère pourrait retarder d’au moins une décennie la régénérati­on de la couche d’ozone, attendue pour le milieu du XXIe siècle. Mais il s’agit aussi d’un puissant gaz à effet de serre. «Un kilo de CFC-11 a le même effet sur le réchauffem­ent climatique que 4700 kilos de CO », précise Paul Newman.

 ?? NOAA VIA ASSOCIATED PRESS ?? Une image des niveaux de la couche d’ozone, fournie par la National Oceanic and Atmospheri­c Administra­tion, en octobre 2015. En bleu et en violet, les zones où l’ozone est le plus faible.
NOAA VIA ASSOCIATED PRESS Une image des niveaux de la couche d’ozone, fournie par la National Oceanic and Atmospheri­c Administra­tion, en octobre 2015. En bleu et en violet, les zones où l’ozone est le plus faible.

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