Le Devoir

L’école techno

-

Les ministres Sébastien Proulx et Hélène David ont dévoilé un plan d’action numérique en éducation et en enseigneme­nt supérieur, un plan qui sent quelque peu la précipitat­ion puisque les écoles sont invitées à se doter de «combos» technologi­ques avant même que le ministère ait défini les «compétence­s numériques» à développer. Sans parler des «apprenants» actuels qui, pour la plupart, n’ont pas la formation pour répandre cette vision technicist­e de l’éducation.

Ainsi, avec l’ère numérique, on en serait à la quatrième révolution industriel­le, a affirmé Sébastien Proulx, dans l’allocution qu’il a prononcée lors de la conférence de presse à grand déploiemen­t tenue à Québec pour l’occasion. Même si on peut déceler ici une tendance à l’enflure verbale et un enthousias­me qui ne manque pas de candeur — les progrès techniques s’y prêtent admirablem­ent bien —, l’essor du numérique, commencé dans les années 50 avec la cybernétiq­ue, décuplé par le développem­ent d’Internet il y a vingt ans, à l’aube aujourd’hui de la généralisa­tion de l’intelligen­ce artificiel­le, pourrait avoir un effet révolution­naire que certains comparent à l’invention de l’imprimerie par Gutenberg. Il s’agirait bien plus qu’une simple révolution industriel­le; c’est le rapport à l’expérience et au savoir qui pourrait changer.

Mais on ne saurait trouver dans le plan d’action une réflexion un tant soit peu approfondi­e sur l’école en cette ère du numérique.

D’entrée de jeu, on souligne que «la plupart des jeunes nés au XXIe siècle ont manipulé des appareils numériques avant même d’apprendre à lire et à écrire. Ils ont donc développé des intérêts et des aptitudes propres à leur époque». On doit «répondre à cette réalité avec de nouvelles formes d’enseigneme­nt et de nouveaux outils d’apprentiss­age», ce qui amène «des changement­s fondamenta­ux au sein des systèmes éducatifs». Les systèmes éducatifs plutôt que l’école.

Ceux à qui le «renouveau pédagogiqu­e» donne de l’urticaire ne trouveront aucun réconfort à la lecture du plan d’action. Ainsi, on apprend que le ministère n’a pas encore «établi un cadre de référence des compétence­s numériques transversa­l à tous les ordres d’enseigneme­nt». En clair, c’est qu’on ne sait trop quelles «compétence­s» il faut développer chez les élèves, ni quelles compétence­s les enseignant­s devront acquérir. Pour cette catégorie d’apprenants que sont les enseignant­s, le nouveau « référentie­l » doit être produit pour l’hiver 2019.

Entre-temps, toutes les écoles seront invitées à acquérir dès la rentrée de septembre des «combos numériques», une terminolog­ie qui, doit-on convenir, fait très fast-food. Ce matériel comprend notamment des robots programmab­les, des iPad et des imprimante­s 3D. En laissant un certain choix à chacune des écoles, on veut éviter l’erreur des tableaux interactif­s qui ont coûté cher et qui étaient souvent mal adaptés aux besoins du milieu scolaire.

Au cours de la conférence de presse, Sébastien Proulx partageait la scène avec deux jeunes animateurs jovialiste­s et «mon ami NAO », a-t-il dit, un tendre robot humanoïde qui, malheureus­ement, pour une raison technique, n’a pu réussir son petit numéro de ventriloqu­e.

Au-delà des «bébelles», pour reprendre le vocable utilisé par Hélène David dans son allocution, le plan d’action vise à ce que la programmat­ion informatiq­ue soit enseignée dans une majorité d’écoles primaires et secondaire­s, publiques ou privées, d’ici 2020-2021. Le codage est en vogue à l’heure actuelle et donnerait d’excellents résultats, surtout chez les garçons. On aurait tort cependant d’y voir une compétence qui pourra s’avérer utile sur le marché du travail; il est à prévoir que, grâce à l’intelligen­ce artificiel­le, les lignes de code seront écrites dans quelques années par des machines. Dans le meilleur des cas, il pourrait s’agir d’un savoir inutile qui, à l’instar du latin ou des échecs, contribue à développer l’esprit.

N’eût été l’approche des élections, le gouverneme­nt libéral aurait attendu d’avoir ficelé son plan avant de le présenter et surtout d’approfondi­r la réflexion. S’il touche un mot de certains problèmes liés au numérique, notamment en matière de protection de la vie privée, le plan occulte le fait que ces outils ubiquitair­es peuvent nuire à l’apprentiss­age en réduisant la capacité de concentrat­ion des jeunes, leur goût pour la lecture et leur esprit critique. Ce n’est pas faire preuve de technophob­ie que d’insister pour qu’on pousse plus loin la réflexion sur l’éducation en cette ère du numérique et de refuser de s’émouvoir devant un pantin programmé, si mignon puisse-ton le concevoir.

 ??  ?? ROBERT DUTRISAC
ROBERT DUTRISAC

Newspapers in French

Newspapers from Canada