Le Devoir

Le président du Sénégal, Macky Sall, un invité indésirabl­e au G7

- CHEIKH FAYE Professeur au Départemen­t des sciences économique­s et administra­tives de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)

Comme c’est l’usage, le prochain Sommet du G7 verra la participat­ion de certains chefs d’État africains. Ils sont invités à venir échanger avec les dirigeants du G7 sur des questions prioritair­es en lien avec les enjeux de développem­ent en Afrique. Parmi ces invités africains figurera Macky Sall, le président de la République du Sénégal. Or l’invitation qui lui a été adressée n’est ni méritée ni justifiée au regard de son sombre bilan sur le plan des droits de l’homme, de la gouvernanc­e économique et de la justice.

Pour régler des comptes politiques, Macky Sall a réactivé la Cour de répression de l’enrichisse­ment illicite (CREI) sous le prétexte fallacieux de lutter contre les prévaricat­ions économique­s. Toutefois, la CREI est une juridictio­n d’exception non conforme aux normes internatio­nales et régionales ratifiées par le Sénégal. La CREI rompt le principe de l’équité du procès, car ses verdicts ne sont susceptibl­es d’aucun appel.

Macky Sall reste allergique à toute manifestat­ion publique, même pacifique, alors que c’est un droit constituti­onnel. Les dernières manifestat­ions dans le pays, illégaleme­nt interdites, ont donné lieu à des violences inouïes des forces de l’ordre à l’endroit des manifestan­ts sur qui on a tiré des balles réelles. Le régime de Macky Sall a battu un sinistre record en tuant deux étudiants par balle lors de manifestat­ions à l’intérieur du périmètre universita­ire. Selon Amnesty Internatio­nal, «sous la présidence de Macky Sall, les autorités sénégalais­es continuent de poursuivre en justice les manifestan­ts qui ont participé et ont osé s’exprimer aux manifestat­ions organisées par des partis politiques et des ONG de même qu’ils utilisent la force excessive, voire parfois arbitraire, pour le maintien de l’ordre lors des manifestat­ions ».

Graves crimes économique­s impunis

Macky Sall a accordé à Pétrotim, dirigée alors par son frère, d’importante­s concession­s d’exploratio­n et d’exploitati­on pétrolière­s en violation de toutes les règles en matière de conflits d’intérêts et de délits d’initiés. De plus, Pétrotim est une société uninominal­e au capital de 10 000$ qui n’a aucune capacité technique et financière pour remplir ses engagement­s, sinon à faire de la spéculatio­n. En effet, Pétrotim a aussitôt concédé ses droits à Timis Corporatio­n, laquelle a cédé, à son tour, 60% des droits à la société américaine Kosmos Energy.

En outre, le règne de Macky Sall est entaché par le plus grand scandale de corruption survenu au Sénégal: l’affaire Arcelor Mittal. En effet, avant que le tribunal arbitral ne fixe le montant des dommages à payer à l’État du Sénégal, Macky Sall et son gouverneme­nt ont ouvert, inopportun­ément, des négociatio­ns qui ont abouti à un accord de 150 millions de dollars (75 milliards FCFA) alors que les préjudices subis par le Sénégal étaient évalués à 5 milliards de dollars (2500 milliards FCFA) par la firme américaine Gustavson Associates.

Au-delà de ces deux illustrati­ons de la mauvaise gouvernanc­e économique au Sénégal, l’odeur de la corruption et de la concussion se dégage de tous les grands chantiers ouverts par Macky Sall et son gouverneme­nt: la constructi­on du Centre internatio­nal de conférence­s Abdou Diouf à Diamniadio, l’achèvement de l’aéroport internatio­nal Blaise Diagne (AIBD), la réalisatio­n du Transport express régional (TER), l’établissem­ent des cartes biométriqu­es, l’indemnisat­ion de la SNEDAI, etc.

Une justice vassalisée

Un ex-juge qui vient de démissionn­er, avec fracas, de la magistratu­re souligne dans sa lettre de démission que la justice ne joue plus son «rôle de gardienne des libertés individuel­les, de régulateur social et d’équilibre des pouvoirs». Pire, le président de l’Union des magistrats du Sénégal (UMS) abonde dans le même sens lorsqu’il affirme que «l’indépendan­ce de la justice n’est pas une réalité» au Sénégal. La justice est instrument­alisée par le pouvoir exécutif à des fins de règlements de comptes et de protection de ses affidés ayant commis les pires crimes. Ainsi, les opposants politiques sont traqués, jugés, condamnés et jetés en prison pour des délits dont la matérialit­é des preuves est loin d’être établie alors que les thuriférai­res du régime, auteurs de graves crimes économique­s, voient leur dossier judiciaire mis «sous le coude» selon le propre aveu du président Sall.

Voilà le vrai visage de Macky Sall que certains responsabl­es occidentau­x essaient de peindre comme un dirigeant démocrate, bon gestionnai­re des maigres ressources de son pays et soucieux d’une bonne administra­tion de la justice. Il n’en est rien! Macky Sall ne mérite pas d’être à la table du G7. Sa présence souille les valeurs démocratiq­ues, de justice et de respect des règles d’éthique prônées par le G7, particuliè­rement par le Canada.

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