Le Devoir

Constituti­on du Québec : des dangers de faire abstractio­n du pouvoir fédéral

- CLAUDETTE CARBONNEAU Présidente des OUI Québec

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt la lettre d’André Larocque, qui était mon professeur de sciences politiques au tournant des années 1970. Dans ce texte intitulé « Le théâtre pour rédiger une constituti­on du Québec» et paru dans les pages du Devoir le 1er juin dernier, je reconnais tout l’idéal démocratiq­ue qui nous animait à l’époque. Dans cette vision généreuse que portait notre génération, la volonté du peuple pouvait, sans autre considérat­ion, librement déplacer des montagnes !

Je ne crois pas être aigrie ou avoir perdu tout idéal. Je continue de militer avec vigueur pour le changement politique et pour la démocratie. Comme présidente des Organisati­ons unies pour l’indépendan­ce, je me sens particuliè­rement interpellé­e par cette question d’une démarche constituan­te ouverte. En effet, les OUI Québec militent pour une constituan­te ayant un mandat fermé, celui de rédiger la constituti­on d’un Québec indépendan­t.

Il ne faut pas voir là un choix idéologiqu­e ou encore un manque de confiance envers le jugement de nos concitoyen­s. C’est simplement un choix qui refuse de faire abstractio­n de la réalité politique dans laquelle nous vivons. Pour le meilleur ou pour le pire, nous vivons dans un État de droit et il faut en tenir compte pour ne pas précipiter le peuple dans un cul-de-sac.

Dans les faits, le Canada ne reconnaît aucun pouvoir constituan­t au peuple, qu’il soit québécois ou canadien. Dans sa philosophi­e politique et dans la Constituti­on canadienne, il n’y a aucun espace pour le peuple ou pour des assemblées constituan­tes. Ce sont les Parlements et les Chambres hautes, avec souvent des exigences de majorité forte de provinces canadienne­s, qui détiennent seuls les pouvoirs de modifier la Constituti­on canadienne.

Bien sûr, les assemblées constituan­tes et les constituti­ons provincial­es ne sont pas illégales. Elles le sont d’autant moins que leur portée demeure insignifia­nte. En effet, une constituti­on interne d’une province doit en tout point respecter le cadre canadien et lui être entièremen­t subordonné­e. Pas étonnant dans ce contexte que la Colombie-Britanniqu­e, qui est la seule province canadienne à s’être dotée d’une constituti­on interne, se limite à y baliser les pouvoirs du lieutenant-gouverneur, une fonction qu’aucune province ne peut d’ailleurs abolir sans l’accord unanime de la Chambre des communes, du Sénat et de toutes les législatur­es provincial­es !

S’il y avait là pour la Colombie-Britanniqu­e matière à faire une différence et à régler le principal problème qui préoccupe sa population, soit l’imposition sauvage du pipeline de Kinder Morgan par le gouverneme­nt fédéral, ça se saurait!

Si le mélange des genres entre une constituti­on provincial­e et la constituti­on d’un État indépendan­t n’a aucune conséquenc­e pratique au théâtre, il en va tout autrement dans la vraie vie. Rappelons de triste mémoire que c’est au nom de la Constituti­on espagnole et de l’État de droit qui en découle que des leaders indépendan­tistes catalans croupissen­t toujours dans des prisons madrilènes ou sont en exil. C’est aussi au nom de ces réalités têtues, dont on ne peut en toute responsabi­lité faire abstractio­n, que le peuple catalan se voit refuser son indépendan­ce et même le droit d’en décider par référendum.

Pour moi, la démocratie, la vraie, c’est aussi la rigueur dans le choix des stratégies et dans les attentes qu’elles soulèvent dans la population.

Saluons cependant le théâtre et l’engagement citoyen des artistes, qui ont ici le mérite de popularise­r et de mettre en scène une démarche constituan­te, qui demeure un projet politique emballant pour l’avenir de notre nation et un puissant levier de démocratis­ation de la société.

Saluons le théâtre et l’engagement citoyen des artistes, qui ont ici le mérite de popularise­r et de mettre en scène une démarche constituan­te, qui demeure un projet politique emballant pour l’avenir de notre nation

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