John Brancy, étoile d’un concours stratosphérique
Finale, dimanche, d’un concours de Mélodies d’un niveau exceptionnel
Le volet Mélodie du Concours musical international de Montréal (CMIM) se dénouait dimanche à la salle Bourgie, laissant le champ libre, lundi et mardi, aux demifinales, puis, jeudi, à la finale du volet Opéra, à la Maison symphonique, avec l’OSM.
À la vue de la demi-finale, opposant, vendredi, huit chanteurs parmi les seize candidats initialement sélectionnés, cinq avaient très clairement leur place dans cette ultime épreuve. Hélas, le jury a finalement fait tomber le couperet sur la Canadienne d’origine tunisienne Rihab Chaieb. Certaines prestations valant mieux que des médailles; je ne doute aucunement que la prestation de la chanteuse aura été fort remarquée.
Cela dit, sa présence en finale n’aurait probablement rien changé à un état de fait : l’omniprésence rayonnante du baryton américain John Brancy. L’aplomb de Brancy dès l’épreuve préliminaire était du niveau d’évidence des premiers accords posés par Beatrice Rana sur le clavier lors du CMIM 2011.
Sur le plan vocal, schématiquement, Brancy est un Gerald Finley en devenir âgé de 30 ans. Son chant est plus accompli que lors de sa première présence, déjà impressionnante, à Montréal il y a six ans. La Société d’art vocal de Montréal n’a d’ailleurs pas attendu le verdict des juges, rendu public jeudi, et distribuait à la sortie de la salle Bourgie des tracts annonçant un récital de Brancy en janvier 2019. Disons que si John Brancy ne gagne pas, ce ne sera pas lui le perdant, mais le CMIM, car un grand lauréat fait un grand ambassadeur. Brancy est prêt pour la carrière et je n’ai aucun doute sur celle-ci.
À mes oreilles, la cause était entendue avant la finale, mais la finale valait, ô combien, le détour. Le baryton-basse américain nous a sorti un mini-récital sur le thème de la guerre et de la mort avec un diptyque Charles Ives-Francis Poulenc à fendre le coeur. Bleuet de Poulenc devrait lui valoir le prix de la Mélodie française. Quant à son Du bist die Ruh de Schubert, s’il ne lui vaut pas le prix de l’interprétation du lied allemand, c’est que Die junge Nonne de Schubert de la mezzo Clara Osowski et les deux Strauss (Ruhe meine Seele et Cäcilie) de la soprano Gemma Summerfield ont été quasiment du même niveau.
Si Brancy l’emportait, ce ne serait pas faute de combattants, car le niveau de cette finale fut exceptionnel. La mezzo Clara Osowski n’est pas en finale «à la place de» Rihab Chaieb. Osowski est de ces chanteuses dont on ne se méfie guère, mais qui, sans avoir l’air d’y toucher, font un sans-faute. À l’entendre dans La mort d’Ophélie de Berlioz, on comprend qu’Osowski est née pour chanter Marguerite de La damnation de Faust au même titre que Rihab Chaieb est née pour devenir un jour Carmen. Deux voix, deux tempéraments. Mais ce que j’ai entendu était brillant.
La soprano Gemma Summerfield a une voix superbe, d’une ampleur maîtrisée, et un art consommé du chant. Ses Strauss étaient de très haut calibre et ses incarnations, engagées. Une petite chose subjective me dérange: sur certains «s», la position de la langue dans le palais donne un très léger aspect sifflant («since» ou «was so» en anglais; «laissezla s’apaiser» en français). Personnellement, cela me «débranche ». Au passage, c’est à son pianiste Sebastian Wybrew que je donnerais le prix du meilleur accompagnateur…
Quant au baryton Julien van Mellaerts, avec une très belle tenue, il a sorti ses aigus avec plus d’éclat qu’en demi-finale, donnant son meilleur dans les mélodies d’Adams et d’Owens. Son défaut, là aussi minime, est une légère tendance à nasaliser quand il retient sa voix (1re Ballade de Villon) ou sur les voyelles « è ». Il me fait penser au Sprecher de la Flûte enchantée : une image amusante pour un chanteur plutôt réservé qui apparaît, par rapport à Brancy ou Summerfield, comme gardien du temple de la mélodie plus que comme un adepte passionné de son culte.