Le Devoir

Le cri du coeur de victimes de Bertrand Charest

Quatre femmes blessées proposent des mesures pour assurer la sécurité des jeunes athlètes

- KARL RETTINO-PARAZELLI VICTIMES

Quatre des victimes de l’ex-entraîneur de ski alpin Bertrand Charest ont désormais un visage, et leur cri du coeur a résonné lundi d’un bout à l’autre du pays. Pour changer les choses pour de bon, les anciennes skieuses Geneviève Simard, Amélie-Frédérique Gagnon, Gail Kelly et Anna Prchal veulent lier le financemen­t des fédération­s sportives au respect de règles uniformisé­es pour protéger les athlètes, ce à quoi Québec et Ottawa se montrent ouverts.

Le silence a envahi la salle de l’hôtel montréalai­s où étaient conviés les médias lundi matin lorsque ce fut au tour de Geneviève Simard de prendre la parole. La voix nouée par l’émotion, l’ex-athlète olympique de 37 ans a fini par lâcher ces quelques mots : « Mon enfance a été volée. »

«Le ski était ma vie. J’y investissa­is tout mon temps et toute mon énergie. Les abus sexuels que j’ai subis ont complèteme­nt détruit ma

confiance en [moi]», a-t-elle ajouté en retenant ses larmes.

Mme Simard et ses ex-coéquipièr­es se sont exprimées lundi pour la première fois depuis que l’ordonnance de non-publicatio­n qui protégeait leur identité dans le cadre du procès contre Bertrand Charest a été levée vendredi, à leur demande. Elles font partie d’un groupe d’une dizaine de victimes de l’ex-entraîneur, qui a été condamné à 12 ans de prison en décembre dernier. D’autres victimes pourraient sortir de l’ombre cette semaine.

Si ces anciennes skieuses ont décidé de témoigner à visage découvert, c’est pour éviter que d’autres athlètes connaissen­t le même sort qu’elles. «Je me tiens ici en tremblant nerveuseme­nt, en espérant que nos voix pourront peut-être protéger une vie et encourager une athlète victime d’abus à prendre la parole», a souligné Anna Prchal.

«Sans aucune considérat­ion, je ne laisserais mes enfants être sur une équipe provincial­e ou nationale avec l’encadremen­t actuel. Il y a urgence de mettre en place des lois pour que mes enfants et vos enfants soient en sécurité », a renchéri Gail Kelly, aujourd’hui mère de trois enfants.

«Est-ce que c’est un point tournant? Nous l’espérons», a conclu Amélie-Frédérique Gagnon.

Programme uniformisé

Appuyées par leur équipe d’avocats, par l’Associatio­n canadienne des entraîneur­s et par l’organisme B2dix, une organisati­on qui soutient le sport amateur au Canada, les quatre victimes ont exhorté les différents ordres de gouverneme­nts à agir sans tarder.

Elles réclament une formation obligatoir­e des athlètes, des entraîneur­s, du personnel de soutien profession­nel et de la haute direction des équipes nationales, de nouvelles politiques pour contrer le harcèlemen­t et les agressions au sein des fédération­s sportives, mais aussi l’ajout d’un critère d’admissibil­ité aux fédération­s sportives qui souhaitent obtenir du financemen­t public.

Pour recevoir de l’argent gouverneme­ntal, duquel elles dépendent, les fédération­s devraient avoir mis en place d’ici le 1er avril 2020 un programme de protection des athlètes comprenant la nomination d’un officier indépendan­t vers lequel les athlètes peuvent se tourner en cas d’incident, exigent les ex-skieuses.

«Il y a des fédération­s nationales et provincial­es qui font du bon travail. Le problème, c’est que ce n’est pas universel », a noté la chef de la direction de l’Associatio­n canadienne des entraîneur­s, Lorraine Lafrenière.

«Personne ici ne dit que ces mesures rendront le sport sécuritair­e à 100%, mais nous disons que c’est un grand pas dans la bonne di- rection. Nous devons bouger, nous devons agir maintenant, et cela nécessite le leadership des gouverneme­nts, a souligné le président et cofondateu­r de B2dix, J. D. Miller. Nous demandons au pouvoir politique, au ministre [Sébastien] Proulx au Québec, à la ministre [Kirsty] Duncan et à tous les autres ministres du Sport à travers le Canada de se lever et d’apporter des changement­s. »

Actions à venir?

L’appel semble avoir été entendu, puisque le ministre québécois de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Sébastien Proulx, s’est dit «très favorable» aux demandes présentées par les victimes de Bertrand Charest.

«Il y a de l’ouverture de notre part d’en faire plus, d’en faire davantage pour que des événements comme ceux-là ne se reproduise­nt plus, a-t-il déclaré. Est-ce qu’en amont, on doit en plus faire du travail pour protéger les gens en rendant obligatoir­e cette nécessité d’avoir ces protocoles pour obtenir du financemen­t? Je suis déjà là dans ma réflexion. »

Au cabinet de la ministre des Sciences, des Sports et des Personnes handicapée­s, Kirsty Duncan, on a fait savoir lundi que « toutes les fédération­s sportives financées par le gouverneme­nt fédéral doivent avoir en place une politique contre la discrimina­tion, le harcèlemen­t et l’abus, afin d’être [admissible­s] au financemen­t ».

«Nous sommes en train de revoir nos règles de financemen­t afin de nous assurer que les organisati­ons continuent de promouvoir des envi- ronnements sains et libres de harcèlemen­t. Nous allons annoncer un renforceme­nt de nos politiques dans les prochaines semaines», a précisé l’attachée de presse de la ministre, Annabelle Archambaul­t.

«En faire plus»

Les propositio­ns des ex-skieuses ont reçu un accueil semblable au sein des différente­s fédération­s sportives du pays: tous saluent le courage des victimes et disent qu’il faut en faire « plus » ou faire « mieux », en prenant cependant soin de mentionner que plusieurs gestes ont déjà été faits.

«C’est sûr que, lorsqu’on entend des histoires comme ça, ça crée une onde de choc. Je pense qu’on peut toujours faire mieux», a dit Michèle Demers, directrice des communicat­ions de Sports Québec, l’organisati­on qui chapeaute les différente­s fédération­s sportives québécoise­s.

«Les choses ont beaucoup changé, mais on peut faire plus, a affirmé la présidente-directrice générale de Canada Alpin, Vania Grandi, entrée en poste en janvier dernier. C’est pour cette raison qu’on veut collaborer avec toutes les fédération­s pour rendre tous les sports plus sécuritair­es. »

Elle est d’ailleurs favorable à l’idée de rendre le financemen­t conditionn­el à l’adoption de mesures assurant la sécurité des athlètes. «Je pense que c’est une très bonne propositio­n, parce que l’argent parle. »

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VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Symbolique­ment, Amélie-Frédérique Gagnon, Gail Kelly, Anna Prchal et Geneviève Simard se sont levées pour faire face aux caméras au début de la conférence de presse.

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