Ni candidate ni candidat
Sous la bannière de Québec solidaire, Hélène Dubé veut faire campagne en tant que personne non genrée
Ni une candidate ni un candidat: Hélène Dubé, qui se considère comme une personne non genrée, mènera une campagne électorale particulière cet automne. Une démarche qui s’inscrit en marge des réflexions qu’Ottawa et Québec mènent sur la question de l’identification de genre.
« C’est simple : je ne suis pas une femme, et pas un homme non plus. C’est comme si vous me demandiez si je suis noire ou blanche, alors que je suis mulâtre», disait la candidate solidaire de Rousseau (Lanaudière) en entretien la semaine dernière.
Nous écrivons d’ailleurs candidate au féminin, mais c’est là une partie de l’enjeu: qu’écrire, que dire, dans un cas semblable ?
Hélène Dubé ne s’offusque de rien — mais elle a demandé au Devoir de ne pas l’inclure dans les statistiques de la Vigie parité, ce projet qui compile le pourcentage de candidatures féminines de chaque parti en vue des prochaines élections [voir tableau].
«On s’est toujours adressé à moi comme Madame Dubé, et ça me va. Parfois, je suis très masculine et on me dit Monsieur, et je dis oui. Quand je parle de moi, j’utilise le masculin. À l’écrit, je parle de moi au masculin. Mais je vis dans un corps de femme et j’ai été élevée en tant que femme.
« Autre »
Le permis de conduire d’Hélène Dubé indique d’ailleurs qu’elle est une femme. «Mes pièces d’identité ne m’offraient pas de choix autre qu’homme ou femme», relève-t-elle.
Hélène Dubé dit qu’elle n’est «pas plus à l’aise avec homme que femme. Je coche “autre” lorsque la possibilité m’est offerte» au moment d’avoir à indiquer son genre sur des formulaires. C’est donc tout naturellement qu’elle s’est dirigée vers le micro «non genré» que Québec solidaire prévoit dans ses activités. «C’était le micro qui me correspondait, qui me permettait de me présenter comme je suis.»
Pour composer avec cette situation, Québec solidaire soutient qu’il évitera dans ses communications « les formulations comme Monsieur ou Madame, pour utiliser le neutre le plus souvent possible. Nous parlerons par exemple de la personne candidate ou ferons référence à lui par son nom, simplement.
Cela étant, nous utiliserons l’accord masculin lorsque nous ferons référence à Hélène Dubé, comme c’est le genre qu’il utilise pour se désigner lui-même. »
Le test de la carte
Si ce type d’option n’est pas encore fréquent, la situation change peu à peu. À Québec, un comité interministériel a été formé à l’automne 2017 pour «analyser les enjeux soulevés par les marqueurs de genre dans les documents d’identité gouvernementaux», rappelle au Devoir le ministère de la Justice.
Le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) fait notamment partie du comité. À l’heure actuelle, le DGEQ ne demande pas le genre d’un candidat pour remplir son bulletin de candidature. Chaque personne doit toutefois établir son identité au moyen d’un document officiel. Le genre indiqué sur le document servira aux statistiques internes du DGEQ.
Au Québec, la carte d’assurance maladie et le permis de conduire font mention du sexe de la personne. Les deux organismes responsables de leur émission siègent aussi au comité interministériel qui doit remettre un rapport au gouvernement courant juin.
À Ottawa, le gouvernement fédéral a déjà fait un pas significatif vers une neutralité de genre. En août 2017, le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté a annoncé que son ministère serait le premier à introduire des mesures permettant une désignation de sexe X (au lieu de F pour femmes ou H pour hommes) dans différents documents, dont le passeport canadien.
Le fédéral travaille à d’autres changements semblables.
À cet égard, l’Ontario a pris les devants. En juin 2016, le gouvernement a ainsi changé la manière dont il affiche les renseignements liés au sexe et au genre des personnes sur la carte Santé et le permis de conduire.
Depuis deux ans, la carte Santé ontarienne ne comporte donc plus de mention du sexe de la personne. Et depuis le début 2017, les titulaires d’un permis de conduire peuvent inscrire un X comme identifiant de genre.
Il y a deux ans, la Commission des relations avec les citoyens (CRC) de l’Assemblée nationale, sous l’impulsion de la députée libérale Karine Vallières, se donnait un mandat d’initiative pour se pencher sur la place des femmes en politique. La semaine dernière, elle accouchait d’un rapport particulièrement insignifiant, édulcoré par la lourde main de la majorité libérale. Cette inanité soulève de sérieuses questions sur le fonctionnement même des commissions parlementaires.
Ce ne sont pas les moyens qui ont manqué à la Commission. Et ce n’est pas que le sujet, celui de la place des femmes en politique, ne méritait pas un examen approfondi. Ainsi, la CRC a procédé à des consultations particulières au cours desquelles dix groupes et une personne furent entendus. Elle a reçu 13 mémoires. Un questionnaire fut mis en ligne auquel plus de 500 personnes ont répondu.
Après des modifications imposées par les «membres du groupe parlementaire formant le gouvernement», la Commission a produit un rapport comprenant sept recommandations, dont le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elles ne brillent pas par leur originalité.
Ainsi, les parlementaires ont recommandé que des campagnes soient menées auprès du grand public afin de valoriser les rôles «de personnes élues»: c’est ce que les groupes de femmes font depuis dix ans. Ils ont aussi recommandé de valoriser — ils affectionnent le mot — le mentorat, une pratique qui existe déjà. La plus volontaire des recommandations porte sur «la conciliation travail-famille-vie personnelle» à l’Assemblée nationale: on suggère que l’environnement de travail soit adapté. Mais on ne dit pas comment.
Dans le rapport, la principale exigence de la grande majorité des groupes entendus ne mérite qu’un court paragraphe. Ils réclament l’imposition de quotas afin d’atteindre la parité. On n’apprend rien de leurs arguments, et les élus du gouvernement, qui s’y opposent, ne présentent aucun des leurs.
La députée péquiste Catherine Fournier, qui est membre de la CRC, a exprimé ses réserves, mais le rapport n’en fait aucunement mention. Pour que sa dissidence fût consignée, il lui aurait fallu le consentement unanime des membres de la commission, notamment des libéraux qui y détiennent la majorité.
Ce droit à la dissidence devrait être garanti afin que les commissions rendent compte des vrais enjeux et fassent oeuvre utile. Les parlementaires éviteraient ainsi de se complaire dans la gênante insignifiance que le gouvernement leur impose.