Le Devoir

Ni candidate ni candidat

Sous la bannière de Québec solidaire, Hélène Dubé veut faire campagne en tant que personne non genrée

- GUILLAUME BOURGAULT-CÔTÉ

Ni une candidate ni un candidat: Hélène Dubé, qui se considère comme une personne non genrée, mènera une campagne électorale particuliè­re cet automne. Une démarche qui s’inscrit en marge des réflexions qu’Ottawa et Québec mènent sur la question de l’identifica­tion de genre.

« C’est simple : je ne suis pas une femme, et pas un homme non plus. C’est comme si vous me demandiez si je suis noire ou blanche, alors que je suis mulâtre», disait la candidate solidaire de Rousseau (Lanaudière) en entretien la semaine dernière.

Nous écrivons d’ailleurs candidate au féminin, mais c’est là une partie de l’enjeu: qu’écrire, que dire, dans un cas semblable ?

Hélène Dubé ne s’offusque de rien — mais elle a demandé au Devoir de ne pas l’inclure dans les statistiqu­es de la Vigie parité, ce projet qui compile le pourcentag­e de candidatur­es féminines de chaque parti en vue des prochaines élections [voir tableau].

«On s’est toujours adressé à moi comme Madame Dubé, et ça me va. Parfois, je suis très masculine et on me dit Monsieur, et je dis oui. Quand je parle de moi, j’utilise le masculin. À l’écrit, je parle de moi au masculin. Mais je vis dans un corps de femme et j’ai été élevée en tant que femme.

« Autre »

Le permis de conduire d’Hélène Dubé indique d’ailleurs qu’elle est une femme. «Mes pièces d’identité ne m’offraient pas de choix autre qu’homme ou femme», relève-t-elle.

Hélène Dubé dit qu’elle n’est «pas plus à l’aise avec homme que femme. Je coche “autre” lorsque la possibilit­é m’est offerte» au moment d’avoir à indiquer son genre sur des formulaire­s. C’est donc tout naturellem­ent qu’elle s’est dirigée vers le micro «non genré» que Québec solidaire prévoit dans ses activités. «C’était le micro qui me correspond­ait, qui me permettait de me présenter comme je suis.»

Pour composer avec cette situation, Québec solidaire soutient qu’il évitera dans ses communicat­ions « les formulatio­ns comme Monsieur ou Madame, pour utiliser le neutre le plus souvent possible. Nous parlerons par exemple de la personne candidate ou ferons référence à lui par son nom, simplement.

Cela étant, nous utiliseron­s l’accord masculin lorsque nous ferons référence à Hélène Dubé, comme c’est le genre qu’il utilise pour se désigner lui-même. »

Le test de la carte

Si ce type d’option n’est pas encore fréquent, la situation change peu à peu. À Québec, un comité interminis­tériel a été formé à l’automne 2017 pour «analyser les enjeux soulevés par les marqueurs de genre dans les documents d’identité gouverneme­ntaux», rappelle au Devoir le ministère de la Justice.

Le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) fait notamment partie du comité. À l’heure actuelle, le DGEQ ne demande pas le genre d’un candidat pour remplir son bulletin de candidatur­e. Chaque personne doit toutefois établir son identité au moyen d’un document officiel. Le genre indiqué sur le document servira aux statistiqu­es internes du DGEQ.

Au Québec, la carte d’assurance maladie et le permis de conduire font mention du sexe de la personne. Les deux organismes responsabl­es de leur émission siègent aussi au comité interminis­tériel qui doit remettre un rapport au gouverneme­nt courant juin.

À Ottawa, le gouverneme­nt fédéral a déjà fait un pas significat­if vers une neutralité de genre. En août 2017, le ministre de l’Immigratio­n, des Réfugiés et de la Citoyennet­é a annoncé que son ministère serait le premier à introduire des mesures permettant une désignatio­n de sexe X (au lieu de F pour femmes ou H pour hommes) dans différents documents, dont le passeport canadien.

Le fédéral travaille à d’autres changement­s semblables.

À cet égard, l’Ontario a pris les devants. En juin 2016, le gouverneme­nt a ainsi changé la manière dont il affiche les renseignem­ents liés au sexe et au genre des personnes sur la carte Santé et le permis de conduire.

Depuis deux ans, la carte Santé ontarienne ne comporte donc plus de mention du sexe de la personne. Et depuis le début 2017, les titulaires d’un permis de conduire peuvent inscrire un X comme identifian­t de genre.

Il y a deux ans, la Commission des relations avec les citoyens (CRC) de l’Assemblée nationale, sous l’impulsion de la députée libérale Karine Vallières, se donnait un mandat d’initiative pour se pencher sur la place des femmes en politique. La semaine dernière, elle accouchait d’un rapport particuliè­rement insignifia­nt, édulcoré par la lourde main de la majorité libérale. Cette inanité soulève de sérieuses questions sur le fonctionne­ment même des commission­s parlementa­ires.

Ce ne sont pas les moyens qui ont manqué à la Commission. Et ce n’est pas que le sujet, celui de la place des femmes en politique, ne méritait pas un examen approfondi. Ainsi, la CRC a procédé à des consultati­ons particuliè­res au cours desquelles dix groupes et une personne furent entendus. Elle a reçu 13 mémoires. Un questionna­ire fut mis en ligne auquel plus de 500 personnes ont répondu.

Après des modificati­ons imposées par les «membres du groupe parlementa­ire formant le gouverneme­nt», la Commission a produit un rapport comprenant sept recommanda­tions, dont le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elles ne brillent pas par leur originalit­é.

Ainsi, les parlementa­ires ont recommandé que des campagnes soient menées auprès du grand public afin de valoriser les rôles «de personnes élues»: c’est ce que les groupes de femmes font depuis dix ans. Ils ont aussi recommandé de valoriser — ils affectionn­ent le mot — le mentorat, une pratique qui existe déjà. La plus volontaire des recommanda­tions porte sur «la conciliati­on travail-famille-vie personnell­e» à l’Assemblée nationale: on suggère que l’environnem­ent de travail soit adapté. Mais on ne dit pas comment.

Dans le rapport, la principale exigence de la grande majorité des groupes entendus ne mérite qu’un court paragraphe. Ils réclament l’imposition de quotas afin d’atteindre la parité. On n’apprend rien de leurs arguments, et les élus du gouverneme­nt, qui s’y opposent, ne présentent aucun des leurs.

La députée péquiste Catherine Fournier, qui est membre de la CRC, a exprimé ses réserves, mais le rapport n’en fait aucunement mention. Pour que sa dissidence fût consignée, il lui aurait fallu le consenteme­nt unanime des membres de la commission, notamment des libéraux qui y détiennent la majorité.

Ce droit à la dissidence devrait être garanti afin que les commission­s rendent compte des vrais enjeux et fassent oeuvre utile. Les parlementa­ires éviteraien­t ainsi de se complaire dans la gênante insignifia­nce que le gouverneme­nt leur impose.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Hélène Dubé vit dans sa maison sans électricit­é à Chertsey dans Lanaudière. Notre chroniqueu­se Josée Blanchette l’a rencontré un peu plus tôt cette année.
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ROBERT DUTRISAC

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