Le Devoir

Lacs et rivières ouverts aux pétrolière­s

- ALEXANDRE SHIELDS

Contrairem­ent à ce qu’avait promis le ministre de l’Énergie, Pierre Moreau, le gouverneme­nt Couillard compte bel et bien ouvrir les lacs et les rivières du Québec aux projets d’exploratio­n pétrolière et gazière, a constaté Le Devoir. Et si les libéraux ferment la porte à la fracturati­on hydrauliqu­e dans la vallée du Saint-Laurent, ils comptent l’autoriser dans toutes les autres régions de la province, en plus de permettre les forages aux limites des milieux naturels protégés.

Le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles a mis en ligne mercredi en fin de journée la « version administra­tive » des nouveaux projets de règlements qui vont de pair avec la mise en oeuvre de la première Loi sur les hydrocarbu­res de l’histoire du Québec.

Ces documents de quelques centaines de pages révèlent que le gouverneme­nt Couillard a l’intention d’ouvrir la quasitotal­ité des lacs et des rivières du Québec aux projets d’exploratio­n pétrolière et gazière. En se basant sur la carte officielle des 53 225 km2 de permis d’exploratio­n en vigueur à l’heure actuelle au Québec, on constate que des milliers de cours d’eau de différente­s régions pourraient donc être ciblés par les entreprise­s.

Fait à noter, seuls treize cours d’eau seraient hors d’accès pour les entreprise­s, dont le fleuve Saint-Laurent, le lac SaintJean, le lac Memphrémag­og, le canal Lachine, la rivière Richelieu, la rivière Saint-Maurice et la rivière Saguenay.

Pour tous les autres, le gouverneme­nt compte autoriser les entreprise­s à réaliser des «levés géophysiqu­es», des opérations qui peuvent nécessiter l’utilisatio­n d’« explosifs ». Les pétrolière­s et les gazières pourront également mener des forages exploratoi­res, y compris des forages horizontau­x, ou encore des opérations d’exploitati­on d’énergies fossiles directemen­t dans les lacs et les rivières.

Les forages en milieu hydrique ou en milieu terrestre ne pourront toutefois pas être réalisés à moins de 300 mètres d’une résidence isolée, par exemple un chalet, ou à moins de 180 mètres d’un barrage « à forte contenance ». Les foreuses devront aussi être positionné­es à au moins 550 mètres « d’un établissem­ent de santé et de services sociaux, d’un établissem­ent d’enseigneme­nt, d’un bâtiment où sont offerts des services de garde à l’enfance ».

Dans la plupart des cas, on constate cependant que « le ministre » peut « permettre la réduction des distances si le titulaire de l’autorisati­on lui démontre qu’une mesure de protection efficace permet de réduire les risques ».

Les forages seront en outre interdits dans les périmètres urbanisés, mais aussi dans un rayon d’un kilomètre autour de ceux-ci. Le ministre Moreau croit répondre ainsi aux critiques des 338 municipali­tés qui exigeaient des règles plus strictes de protection de l’eau potable dans le cadre des forages. Mais les projets de règlements publiés mercredi ne font pas mention de la question de la protection de l’eau potable, qui relève d’un règlement géré par le ministère de l’Environnem­ent.

Le gouverneme­nt, qui réaffirmai­t mercredi que « la protection de l’environnem­ent est au coeur » de ses décisions, mais aussi qu’il est « à l’écoute de la population », a par ailleurs décidé de revoir les distances prévues entre un forage et un milieu naturel protégé, comme un parc national ou une aire protégée. Alors que les premiers projets de règlements, publiés en septembre 2017, prévoyaien­t une distance de 60 mètres, le ministre Moreau prévoit maintenant une distance de 100 mètres.

Volte-face

Le choix de garder la porte ouverte aux forages dans les lacs et les rivières signifie toutefois que le ministre Pierre Moreau revient sur sa parole. « Le gouverneme­nt du Québec n’autorisera jamais l’exploratio­n ou l’exploitati­on d’hydrocarbu­res dans les cours d’eau, dans les parcs nationaux, à proximité des garderies, des cours d’école, dans les espaces résidentie­ls ou au coeur des zones urbaines », avait-il affirmé, peu de temps après sa nomination, en octobre 2017, en marge du congrès de l’Associatio­n pétrolière et gazière du Québec.

« Je m’adresse à ceux qui font croire le contraire et qui tiennent un discours alarmiste. Il faut cesser de faire peur au monde », avait-il ajouté.

Dans le cadre d’un point de presse tenu mercredi en compagnie de la ministre de l’Environnem­ent, Isabelle Melançon, Pierre Moreau a par ailleurs annoncé que le gouverneme­nt interdira les opérations controvers­ées de « fracturati­on » dans le schiste de l’Utica, soit la formation géologique ciblée pour la recherche de gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent.

Après des années de controvers­e, le gouverneme­nt Couillard ferme donc la porte aux projets d’exploratio­n gazière qui avaient débuté sous le gouverneme­nt libéral de Jean Charest, il y a de cela une décennie. « L’acceptabil­ité sociale n’était clairement pas au rendez-vous », a résumé M. Moreau. Si la technologi­e se développai­t et permettait l’extraction de gaz de schiste sans recourir à la fracturati­on, le gouverneme­nt pourrait l’autoriser, a-t-il toutefois précisé.

Les entreprise­s qui le souhaitent pourront toutefois utiliser la fracturati­on pour extraire du pétrole ou du gaz naturel, selon les règles élaborées par le gouverneme­nt Couillard. Cette technique controvers­ée pourra par exemple être utilisée dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie.

Qui plus est, les pétrolière­s pourront utiliser, partout au Québec, une technique qui présente des similitude­s avec la fracturati­on hydrauliqu­e. Elles pourront ainsi recourir à la « récupérati­on assistée du pétrole», une technique d’exploitati­on qui n’a jamais été évoquée auparavant.

Le gouverneme­nt la définit comme «toute récupérati­on d’hydrocarbu­res au moyen de méthodes de maintien de la pression du gisement, notamment par l’injection de fluides ». Celle-ci permet d’augmenter la quantité de brut ramené à la surface en forant des puits supplément­aires qui permettent d’injecter, par exemple, du gaz ou des produits chimiques, pour stimuler la production.

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