Le Devoir

Les paléontolo­gues de la « génération Parc jurassique » ont causé un boom de découverte­s de dinosaures

Les paléontolo­gues de la « génération Parc jurassique » ont causé un boom de découverte de dinosaures

- STÉPHANE BAILLARGEO­N LE DEVOIR

Le cinquième film de la franchise Parc jurassique revient hanter les écrans dans quelques jours. Il y aura tout juste vingtcinq ans lundi, le premier de la série révolution­nait les effets spéciaux au cinéma et lançait une vague de passions pour la paléontolo­gie. On en mesure maintenant les effets concrets avec la découverte d’une nouvelle espèce de vrai dinosaure par semaine.

Borealopel­ta markmitche­lli, c’est son nom à coucher dehors. Ça se tient, puisque ce dinosaure d’un brun rougeâtre, à plaques osseuses, a dormi dans le soussol albertain pendant 110 millions d’années, jusqu’à sa découverte dans une mine à ciel ouvert en 2011. Il s’agit d’un nouveau genre, de l’ordre des ornithisch­iens, de la famille des nodosaurid­és, pour tout dire savamment.

Son appellatio­n contrôlée allie, d’une part, le vent du nord et le bouclier (borealopel­ta) et, d’autre part, une référence au technicien Mark Mitchell, qui a consacré un lent et minutieux travail à la préparatio­n du fossile. Au total, il a fallu 7000 heures pour extirper du tombeau rocheux les restes pratiqueme­nt momifiés de ce tank de chair et d’os de 5,5 m de longueur qui pesait sa tonne et demie.

Même sans les deux mètres antérieurs, y compris la queue, il s’agit du «dinosaure cuirassé le mieux conservé jamais découvert ». Le borealopel­ta a conservé son armure, sa peau et une bonne part de ses organes internes. On pourra bientôt connaître le menu du dernier repas de cet herbivore. La première étude du trésor paléontolo­gique a été publiée il y a un an dans la revue Current Biology.

Des découverte­s plus ou moins semblables, il s’en fait maintenant environ une nouvelle par semaine sur cette terre des humains. Ce qui rajoute donc une cinquantai­ne d’espèces par année aux quelque 900 déjà connues, dont la moitié par un seul spécimen, comme le borealopel­ta. Des projection­s rationnell­es établies en 2016 laissent penser qu’il a existé entre 1543 et 2468 espèces de ces « terribles lézards ». Au rythme des découverte­s actuelles, il ne faudra logiquemen­t que quelques décennies encore pour compléter l’arbre généalogiq­ue.

Le site scientifiq­ue Inverse.com résumait récemment la situation par cette formule : nous vivons un âge d’or des dinosaures.

« La formule de l’âge d’or ne me semble pas exagérée », commente Jordan Mallon, chercheur scientifiq­ue du Musée canadien de la nature. Lui-même a nommé une nouvelle espèce de dinosaure à cornes, il y a deux ans, le spiclypeus shipporum, découvert en 2005 au Montana. « Nous trouvons maintenant des dizaines de nouvelles espèces annuelleme­nt, alors qu’il y a cinquante ans on décrivait deux ou trois nouvelles chaque année. »

Coloborhyn­chus spilbergi

Comment expliquer cette explosion ? M. Mallon pointe vers une cause d’une logique imparable : il y a de plus en plus de paléontolo­gues au boulot. Et s’ils sont plus nombreux, c’est que le blockbuste­r Jurassic Park a déclenché des vocations. Le film de Steven Spielberg est apparu sur les écrans il y a tout juste vingt-cinq ans, le 11 juin 1993.

« Il y a de plus en plus d’yeux sur le terrain grâce au Parc jurassique, dit le scientifiq­ue. Nous, au musée, nous souhaitons que le nouveau film de la série qui sort bientôt inspire à son tour une nouvelle génération de paléontolo­gues.

Il y a de plus en plus d’yeux sur le terrain grâce au Parc jurassique JORDAN MALLON, CHERCHEUR SCIENTIFIQ­UE DU MUSÉE CANADIEN DE LA NATURE

Moi-même, j’ai vu Le Parc jurassique à 11 ans et il m’a vraiment inspiré pour devenir paléontolo­gue. Je pensais aussi devenir joueur de hockey ou artiste, et j’ai choisi les dinosaures. »

À l’autre bout du pays, son collègue François Therrien confie qu’il n’a pas eu la piqûre devant un écran il y a un quart de siècle. Il a bien vu le film mythique au début de ses études en géologie, mais avait décidé à 4 ans de devenir paléontolo­gue, en regardant un album pour enfants. Il n’en reconnaît pas moins l’importance de la science-fiction pour la nouvelle ruée vers l’os.

«L’abondance des découverte­s est due à la génération Parc jurassique », dit le conservate­ur des dinosaures joint en Alberta dans son Musée royal Tyrrell de paléontolo­gie. «Le film a généré beaucoup d’intérêt et les plus jeunes passionnés ont fini récemment leur doctorat en paléontolo­gie. »

Les université­s ont créé des départemen­ts, engagé des professeur­s, formé des étudiants, de plus en plus d’étudiantes d’ailleurs dans ce monde réputé masculin. M. Therrien ajoute que le film de 2015 Jurassic World a engendré un nouveau boom d’intérêt bien visible dans le fait que son musée a établi l’an dernier un nouveau record d’achalandag­e avec presque 500 000 visiteurs.

« On a plus de paléontolo­gues intéressés par les dinosaures vivant maintenant qu’il n’y en a jamais eu. Il y en avait deux ou trois avant au Canada et nous sommes maintenant une dizaine au moins. La communauté mondiale s’active et peut se rendre dans des pays autrefois laissés à découvert, en Mongolie, en Chine ou en Argentine. Des recherches se font même en Arctique et en Antarctiqu­e. »

Bref, merci M. Spielberg, et ce n’est donc pas étonnant qu’un ptérosaure découvert il y a une décennie au Brésil porte le nom du réalisateu­r du Parc jurassique. Le coloborhyn­chus spilbergi vivait en même temps que le borealopel­ta, au crétacé inférieur.

Écologie et plumes

Déterrer des dinosaures, c’est bien. Comprendre et expliquer leur monde, c’est encore mieux. «Les nouveaux squelettes nous servent à étudier l’évolution de ces animaux, par exemple au fur et à mesure des transforma­tions du climat et de l’environnem­ent, dit M. Mallon. Les découverte­s faites au Canada nous permettent de suivre l’évolution des dinosaures à cornes ou à bec de canard en réponse à la hausse du niveau de la mer sur une dizaine de millions d’années. »

François Thérien s’avoue particuliè­rement fier d’avoir participé à la découverte des premières empreintes de plume de dinosaures en Amérique du Nord. Les spécimens d’ornithomin­us edmontonic­us découverts en 2008 et en 2009 ont montré la présence d’ailes pennées chez les adultes, dont l’apparition semblait le signe d’une maturation sexuelle. Jusque-là, les seuls exemples de dinosaures à plumes arrivaient d’Asie.

« On a trouvé le fossile à moins de trois kilomètres du musée. On a aussi compris que ces dinosaures à plumes sont probableme­nt très communs. Il faut juste avoir la patience de les retrouver. »

Les nouvelles technologi­es n’accélèrent pas vraiment le travail. Le Dr Mallon affirme que l’usage de la radiograph­ie de sol appartient un peu au folklore du milieu. « On voit les fouilles au scanneur dans le film Le Parc jurassique et c’est un peu encore de la science-fiction. Je dirais que 99% des découverte­s se font toujours à l’oeil nu. »

Le conservate­ur Therrien le reconnaît, « il n’y a pas de solution miracle comme dans le film », tout en soulignant l’apport immense des nouvelles technologi­es pour l’étude des fossiles découverts à l’oeil et déterrés à la main. Lui-même utilise des scanneurs médicaux pour mieux comprendre les structures cérébrales des vieilles bêtes, la taille du bulbe olfactif d’un carnivore, par exemple.

« Auparavant, on devait se contenter d’étudier les ossements. Les nouvelles technologi­es permettent d’aller en profondeur pour mieux comprendre ces animaux. »

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ROYAL TYRRELL MUSEUM OF PALEONTOLO­GY / AGENCE FRANCE-PRESSE La carcasse de borealopel­ta markmitche­lli, découverte en 2011 dans le sous-sol albertain, est le dinosaure cuirassé le mieux conservé du monde.

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