Les paléontologues de la « génération Parc jurassique » ont causé un boom de découvertes de dinosaures
Les paléontologues de la « génération Parc jurassique » ont causé un boom de découverte de dinosaures
Le cinquième film de la franchise Parc jurassique revient hanter les écrans dans quelques jours. Il y aura tout juste vingtcinq ans lundi, le premier de la série révolutionnait les effets spéciaux au cinéma et lançait une vague de passions pour la paléontologie. On en mesure maintenant les effets concrets avec la découverte d’une nouvelle espèce de vrai dinosaure par semaine.
Borealopelta markmitchelli, c’est son nom à coucher dehors. Ça se tient, puisque ce dinosaure d’un brun rougeâtre, à plaques osseuses, a dormi dans le soussol albertain pendant 110 millions d’années, jusqu’à sa découverte dans une mine à ciel ouvert en 2011. Il s’agit d’un nouveau genre, de l’ordre des ornithischiens, de la famille des nodosauridés, pour tout dire savamment.
Son appellation contrôlée allie, d’une part, le vent du nord et le bouclier (borealopelta) et, d’autre part, une référence au technicien Mark Mitchell, qui a consacré un lent et minutieux travail à la préparation du fossile. Au total, il a fallu 7000 heures pour extirper du tombeau rocheux les restes pratiquement momifiés de ce tank de chair et d’os de 5,5 m de longueur qui pesait sa tonne et demie.
Même sans les deux mètres antérieurs, y compris la queue, il s’agit du «dinosaure cuirassé le mieux conservé jamais découvert ». Le borealopelta a conservé son armure, sa peau et une bonne part de ses organes internes. On pourra bientôt connaître le menu du dernier repas de cet herbivore. La première étude du trésor paléontologique a été publiée il y a un an dans la revue Current Biology.
Des découvertes plus ou moins semblables, il s’en fait maintenant environ une nouvelle par semaine sur cette terre des humains. Ce qui rajoute donc une cinquantaine d’espèces par année aux quelque 900 déjà connues, dont la moitié par un seul spécimen, comme le borealopelta. Des projections rationnelles établies en 2016 laissent penser qu’il a existé entre 1543 et 2468 espèces de ces « terribles lézards ». Au rythme des découvertes actuelles, il ne faudra logiquement que quelques décennies encore pour compléter l’arbre généalogique.
Le site scientifique Inverse.com résumait récemment la situation par cette formule : nous vivons un âge d’or des dinosaures.
« La formule de l’âge d’or ne me semble pas exagérée », commente Jordan Mallon, chercheur scientifique du Musée canadien de la nature. Lui-même a nommé une nouvelle espèce de dinosaure à cornes, il y a deux ans, le spiclypeus shipporum, découvert en 2005 au Montana. « Nous trouvons maintenant des dizaines de nouvelles espèces annuellement, alors qu’il y a cinquante ans on décrivait deux ou trois nouvelles chaque année. »
Coloborhynchus spilbergi
Comment expliquer cette explosion ? M. Mallon pointe vers une cause d’une logique imparable : il y a de plus en plus de paléontologues au boulot. Et s’ils sont plus nombreux, c’est que le blockbuster Jurassic Park a déclenché des vocations. Le film de Steven Spielberg est apparu sur les écrans il y a tout juste vingt-cinq ans, le 11 juin 1993.
« Il y a de plus en plus d’yeux sur le terrain grâce au Parc jurassique, dit le scientifique. Nous, au musée, nous souhaitons que le nouveau film de la série qui sort bientôt inspire à son tour une nouvelle génération de paléontologues.
Il y a de plus en plus d’yeux sur le terrain grâce au Parc jurassique JORDAN MALLON, CHERCHEUR SCIENTIFIQUE DU MUSÉE CANADIEN DE LA NATURE
Moi-même, j’ai vu Le Parc jurassique à 11 ans et il m’a vraiment inspiré pour devenir paléontologue. Je pensais aussi devenir joueur de hockey ou artiste, et j’ai choisi les dinosaures. »
À l’autre bout du pays, son collègue François Therrien confie qu’il n’a pas eu la piqûre devant un écran il y a un quart de siècle. Il a bien vu le film mythique au début de ses études en géologie, mais avait décidé à 4 ans de devenir paléontologue, en regardant un album pour enfants. Il n’en reconnaît pas moins l’importance de la science-fiction pour la nouvelle ruée vers l’os.
«L’abondance des découvertes est due à la génération Parc jurassique », dit le conservateur des dinosaures joint en Alberta dans son Musée royal Tyrrell de paléontologie. «Le film a généré beaucoup d’intérêt et les plus jeunes passionnés ont fini récemment leur doctorat en paléontologie. »
Les universités ont créé des départements, engagé des professeurs, formé des étudiants, de plus en plus d’étudiantes d’ailleurs dans ce monde réputé masculin. M. Therrien ajoute que le film de 2015 Jurassic World a engendré un nouveau boom d’intérêt bien visible dans le fait que son musée a établi l’an dernier un nouveau record d’achalandage avec presque 500 000 visiteurs.
« On a plus de paléontologues intéressés par les dinosaures vivant maintenant qu’il n’y en a jamais eu. Il y en avait deux ou trois avant au Canada et nous sommes maintenant une dizaine au moins. La communauté mondiale s’active et peut se rendre dans des pays autrefois laissés à découvert, en Mongolie, en Chine ou en Argentine. Des recherches se font même en Arctique et en Antarctique. »
Bref, merci M. Spielberg, et ce n’est donc pas étonnant qu’un ptérosaure découvert il y a une décennie au Brésil porte le nom du réalisateur du Parc jurassique. Le coloborhynchus spilbergi vivait en même temps que le borealopelta, au crétacé inférieur.
Écologie et plumes
Déterrer des dinosaures, c’est bien. Comprendre et expliquer leur monde, c’est encore mieux. «Les nouveaux squelettes nous servent à étudier l’évolution de ces animaux, par exemple au fur et à mesure des transformations du climat et de l’environnement, dit M. Mallon. Les découvertes faites au Canada nous permettent de suivre l’évolution des dinosaures à cornes ou à bec de canard en réponse à la hausse du niveau de la mer sur une dizaine de millions d’années. »
François Thérien s’avoue particulièrement fier d’avoir participé à la découverte des premières empreintes de plume de dinosaures en Amérique du Nord. Les spécimens d’ornithominus edmontonicus découverts en 2008 et en 2009 ont montré la présence d’ailes pennées chez les adultes, dont l’apparition semblait le signe d’une maturation sexuelle. Jusque-là, les seuls exemples de dinosaures à plumes arrivaient d’Asie.
« On a trouvé le fossile à moins de trois kilomètres du musée. On a aussi compris que ces dinosaures à plumes sont probablement très communs. Il faut juste avoir la patience de les retrouver. »
Les nouvelles technologies n’accélèrent pas vraiment le travail. Le Dr Mallon affirme que l’usage de la radiographie de sol appartient un peu au folklore du milieu. « On voit les fouilles au scanneur dans le film Le Parc jurassique et c’est un peu encore de la science-fiction. Je dirais que 99% des découvertes se font toujours à l’oeil nu. »
Le conservateur Therrien le reconnaît, « il n’y a pas de solution miracle comme dans le film », tout en soulignant l’apport immense des nouvelles technologies pour l’étude des fossiles découverts à l’oeil et déterrés à la main. Lui-même utilise des scanneurs médicaux pour mieux comprendre les structures cérébrales des vieilles bêtes, la taille du bulbe olfactif d’un carnivore, par exemple.
« Auparavant, on devait se contenter d’étudier les ossements. Les nouvelles technologies permettent d’aller en profondeur pour mieux comprendre ces animaux. »