Les démons de la division
Les bonnes nouvelles sont plutôt rares pour le PQ par les temps qui courent, et le poids qui pèse sur les épaules de Jean-François Lisée doit lui sembler plus lourd au fur et à mesure que l’élection approche. Tant mieux si le départ de Martine Ouellet lui permet de se sentir « plus léger ».
Dans l’état où il se trouve, le Bloc québécois ne sera sans doute pas d’une grande aide, mais le PQ pourra au moins se lancer en campagne sans que se déroule en arrière-scène le spectacle navrant d’une chicane incessante qui déteignait sur l’ensemble du mouvement souverainiste.
Tout a été dit sur l’incapacité de Mme Ouellet de respecter les règles les plus élémentaires du vivre-ensemble. Après s’être mis à dos l’ensemble de ses collègues péquistes lors de la course à la succession de Pierre Karl Péladeau, elle est allée semer la zizanie au Bloc. Sa conférence de presse de lundi, durant laquelle elle s’en est prise à la terre entière, a donné une spectaculaire démonstration du problème.
Toujours convaincue d’avoir raison envers et contre tous, Mme Ouellet donnait l’impression d’avoir voulu devenir chef du Bloc dans le but de faire contrepoids au virage que M. Lisée a fait prendre au PQ en reportant la tenue du référendum à un éventuel deuxième mandat.
Il est vrai que les divergences de vues entre le PQ et le Bloc ne datent pas d’hier. La « gouvernance souverainiste » de Pauline Marois déplaisait au plus haut point à Daniel Paillé qui, avant Mario Beaulieu, voulait déjà que le Bloc soit avant tout un véhicule de promotion de l’indépendance, mais l’aversion de Mme Ouellet pour le « provincialisme » semblait encore plus marquée. Elle aurait difficilement pu concourir avec enthousiasme à l’élection du « bon gouvernement » provincial que souhaite diriger M. Lisée.
Le départ de Mme Ouellet ne règle cependant pas tout. Seulement deux des sept dissidents de février dernier ont décidé de rentrer au bercail. Les cinq autres demeurent opposés à l’orientation que la chef démissionnaire a néanmoins réussi à faire approuver par les deux tiers des membres du Bloc.
Il est évident que le mouvement souverainiste ne peut pas s’offrir le luxe d’avoir deux partis à la Chambre des communes : l’un pour faire la promotion de l’indépendance, l’autre pour défendre les intérêts du Québec. Inévitablement, ils deviendront des frères ennemis.
Le congrès de Québec solidaire de mai 2017 a démontré de façon tristement éclatante le tort que peuvent causer les démons de la division. Même dans la tourmente référendaire, souverainistes et fédéralistes ne s’étaient pas invectivés avec la hargne que les militants solidaires ont mise à attaquer le PQ.
Les mêmes causes produisent généralement les mêmes effets. La coalition arc-en-ciel qui avait presque fait gagner le Oui en 1995 ne pouvait pas survivre au recul continuel de l’horizon référendaire. Sans la pression d’une échéance qui permettait d’oublier temporairement les divergences, cela devenait inévitable, comme cela l’était peut-être devenu au Bloc.
Il va de soi que la situation n’est plus celle qu’elle était quand Lucien Bouchard a fondé le Bloc. La victoire d’octobre 1993 se voulait la première période d’une partie qui devait faire du Québec un État souverain. Celle du PQ en septembre 1994 était la deuxième période. La victoire leur a échappé en toute fin de troisième.
Jean-François Lisée a fait preuve d’un bien grand optimisme quand il a dit que les talents de pédagogue de Martine Ouellet pourraient être mis à profit « quelque part en 2022 », quand son gouvernement fera une autre « offre indépendantiste » aux Québécois.
Au train où vont les choses, une nouvelle partie ne commencera pas de sitôt. Le 1er octobre, le PQ risque plutôt de devenir le deuxième groupe d’opposition à l’Assemblée nationale. Certains se demandent même s’il aura encore droit au statut de parti officiellement reconnu. Son existence même pourrait être remise en question.
Dans les circonstances actuelles, débattre du rôle du Bloc devient surréaliste. M. Lisée a voulu voir dans la démission de Mme Ouellet un « nouveau départ » pour les indépendantistes à Ottawa. Encore faudrait-il avoir une idée de la destination. À quoi servirait-il de s’en tenir à la promotion de l’indépendance si celle-ci est clairement renvoyée aux calendes grecques ?
Il est inutile de penser à « refonder » le Bloc, comme l’a proposé la présidente du Forum jeunesse, ou à lui trouver un nouveau chef, avant de savoir ce qu’il adviendra du mouvement indépendantiste lui-même. Une seule chose est certaine : que ce soit à Ottawa ou à Québec, on ne pourra rien accomplir dans la division.