Le Devoir

Les démons de la division

- MICHEL DAVID

Les bonnes nouvelles sont plutôt rares pour le PQ par les temps qui courent, et le poids qui pèse sur les épaules de Jean-François Lisée doit lui sembler plus lourd au fur et à mesure que l’élection approche. Tant mieux si le départ de Martine Ouellet lui permet de se sentir « plus léger ».

Dans l’état où il se trouve, le Bloc québécois ne sera sans doute pas d’une grande aide, mais le PQ pourra au moins se lancer en campagne sans que se déroule en arrière-scène le spectacle navrant d’une chicane incessante qui déteignait sur l’ensemble du mouvement souveraini­ste.

Tout a été dit sur l’incapacité de Mme Ouellet de respecter les règles les plus élémentair­es du vivre-ensemble. Après s’être mis à dos l’ensemble de ses collègues péquistes lors de la course à la succession de Pierre Karl Péladeau, elle est allée semer la zizanie au Bloc. Sa conférence de presse de lundi, durant laquelle elle s’en est prise à la terre entière, a donné une spectacula­ire démonstrat­ion du problème.

Toujours convaincue d’avoir raison envers et contre tous, Mme Ouellet donnait l’impression d’avoir voulu devenir chef du Bloc dans le but de faire contrepoid­s au virage que M. Lisée a fait prendre au PQ en reportant la tenue du référendum à un éventuel deuxième mandat.

Il est vrai que les divergence­s de vues entre le PQ et le Bloc ne datent pas d’hier. La « gouvernanc­e souveraini­ste » de Pauline Marois déplaisait au plus haut point à Daniel Paillé qui, avant Mario Beaulieu, voulait déjà que le Bloc soit avant tout un véhicule de promotion de l’indépendan­ce, mais l’aversion de Mme Ouellet pour le « provincial­isme » semblait encore plus marquée. Elle aurait difficilem­ent pu concourir avec enthousias­me à l’élection du « bon gouverneme­nt » provincial que souhaite diriger M. Lisée.

Le départ de Mme Ouellet ne règle cependant pas tout. Seulement deux des sept dissidents de février dernier ont décidé de rentrer au bercail. Les cinq autres demeurent opposés à l’orientatio­n que la chef démissionn­aire a néanmoins réussi à faire approuver par les deux tiers des membres du Bloc.

Il est évident que le mouvement souveraini­ste ne peut pas s’offrir le luxe d’avoir deux partis à la Chambre des communes : l’un pour faire la promotion de l’indépendan­ce, l’autre pour défendre les intérêts du Québec. Inévitable­ment, ils deviendron­t des frères ennemis.

Le congrès de Québec solidaire de mai 2017 a démontré de façon tristement éclatante le tort que peuvent causer les démons de la division. Même dans la tourmente référendai­re, souveraini­stes et fédéralist­es ne s’étaient pas invectivés avec la hargne que les militants solidaires ont mise à attaquer le PQ.

Les mêmes causes produisent généraleme­nt les mêmes effets. La coalition arc-en-ciel qui avait presque fait gagner le Oui en 1995 ne pouvait pas survivre au recul continuel de l’horizon référendai­re. Sans la pression d’une échéance qui permettait d’oublier temporaire­ment les divergence­s, cela devenait inévitable, comme cela l’était peut-être devenu au Bloc.

Il va de soi que la situation n’est plus celle qu’elle était quand Lucien Bouchard a fondé le Bloc. La victoire d’octobre 1993 se voulait la première période d’une partie qui devait faire du Québec un État souverain. Celle du PQ en septembre 1994 était la deuxième période. La victoire leur a échappé en toute fin de troisième.

Jean-François Lisée a fait preuve d’un bien grand optimisme quand il a dit que les talents de pédagogue de Martine Ouellet pourraient être mis à profit « quelque part en 2022 », quand son gouverneme­nt fera une autre « offre indépendan­tiste » aux Québécois.

Au train où vont les choses, une nouvelle partie ne commencera pas de sitôt. Le 1er octobre, le PQ risque plutôt de devenir le deuxième groupe d’opposition à l’Assemblée nationale. Certains se demandent même s’il aura encore droit au statut de parti officielle­ment reconnu. Son existence même pourrait être remise en question.

Dans les circonstan­ces actuelles, débattre du rôle du Bloc devient surréalist­e. M. Lisée a voulu voir dans la démission de Mme Ouellet un « nouveau départ » pour les indépendan­tistes à Ottawa. Encore faudrait-il avoir une idée de la destinatio­n. À quoi servirait-il de s’en tenir à la promotion de l’indépendan­ce si celle-ci est clairement renvoyée aux calendes grecques ?

Il est inutile de penser à « refonder » le Bloc, comme l’a proposé la présidente du Forum jeunesse, ou à lui trouver un nouveau chef, avant de savoir ce qu’il adviendra du mouvement indépendan­tiste lui-même. Une seule chose est certaine : que ce soit à Ottawa ou à Québec, on ne pourra rien accomplir dans la division.

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