Le Devoir

L’équité salariale reste un bien beau projet

Les femmes gagnent beaucoup moins que les hommes, même dans les domaines traditionn­ellement féminins

- AMÉLIE DAOUST-BOISVERT

À profession égale, même dans des métiers traditionn­ellement féminins ou très syndiqués, les hommes gagnent davantage que les femmes.

L’écart entre le revenu médian des hommes et des femmes travaillan­t à temps plein s’élève à plus de 9000 $, a calculé l’Institut de la statistiqu­e du Québec (ISQ). À 42 400$, le salaire médian d’une femme vaut 82 % de celui d’un homme.

Le salaire médian des femmes est inférieur pour les 67 profession­s analysées.

L’ISQ se penche pour la première fois sur la question de l’équité salariale par métier. « Il y a des profession­s là-dedans pour lesquelles on se demande comment il se fait que des écarts subsistent », s’exclame l’auteur de l’étude publiée mercredi, l’analyste Luc Cloutier-Villeneuve. « Et en plus, les femmes sont plus scolarisée­s que les hommes. »

Les écarts se confirment dans des métiers traditionn­ellement masculins, comme ceux de la constructi­on.

Mais il en est de même dans des domaines à prédominan­ce féminine, comme infirmière clinicienn­e (écart de 3385 $) ou enseignant­e au primaire et au secondaire ( 5963 $).

C’est vrai peu importe le niveau de scolarité atteint. On remarque un écart de 23 632 $ chez les professeur­s d’université et les chargés de cours. Il est de 12 836 $ entre les hommes et les femmes qui travaillen­t comme éducateurs en garderie en milieu familial et comme personnel de soutien en enseigneme­nt.

Trois métiers seulement se démarquent par une « quasi » parité : électricie­n, agent de sécurité et travailleu­rs sociaux et communauta­ires.

L’étude utilise les données du recensemen­t de 2016 et reflète la réalité de 2015.

Comment l’expliquer ?

Le fait que les hommes travaillen­t possibleme­nt plus d’heures que les femmes peut jouer, mais « d’autres facteurs sont par ailleurs en cause », indique l’étude. Pour la majorité des profession­s, l’écart de temps de travail entre les hommes et les femmes est de moins d’une heure par semaine.

L’âge, les obligation­s familiales, l’ancienneté, le niveau de responsabi­lité, le statut d’emploi, la couverture syndicale, la taille de l’entreprise ou le secteur sont d’autres facteurs explicatif­s soulevés.

« On a beau avoir une Loi sur l’équité salariale, on a une belle preuve qu’on manque notre coup ! » s’exclame la présidente de la Fédération des femmes du Québec, Gabrielle Bouchard. «C’est systémique. À travers toutes les couches d’emploi, des métiers syndiqués ou non, traditionn­els ou non, il y a une inégalité salariale très claire. »

La chercheuse à l’Institut Simone de Beauvoir de l’Université Concordia Chantal Maillé constate que l’iniquité salariale est souvent «niée». «Je demande souvent à mes étudiantes si elles croient qu’elles auront le même salaire que les gars, et elles le croient toutes. Quand je leur montre les statistiqu­es, c’est l’étonnement », raconte-t-elle.

Gabrielle Bouchard voudrait voir les politicien­s agir plutôt que simplement « s’approprier le féminisme ».

Les femmes plus qualifiées

La professeur­e associée en économie à l’UQAM Ruth Rose avait observé le même phénomène en se penchant sur les données des recensemen­ts précédents. Alors que « souvent les femmes sont plus qualifiées que les hommes », remarque-t-elle. Ainsi, même si l’écart peut être relativeme­nt mince dans certains postes techniques, comme technicien en informatiq­ue, « les femmes qui réussissen­t dans les métiers à prédominan­ce masculine doivent être des superfemme­s». Comme détenir un baccalauré­at pour occuper un poste technique.

Une « ségrégatio­n profession­nelle » s’opère dans plusieurs catégories, soulève Mme Rose. « Dans la catégorie des professeur­s d’université et des assistants d’enseigneme­nt au niveau postsecond­aire, les hommes sont professeur­s à temps plein avec un statut régulier, alors que les femmes prédominen­t chez les chargés de cours et les assistants d’enseigneme­nt. Chez les vendeurs des commerces de détail, les hommes vendent des automobile­s et des appareils ménagers, à la commission, alors que les femmes vendent de menus articles. »

Mme Maillé soulève le souhait que l’analyse des données soit poussée encore plus loin, notamment pour refléter la réalité des femmes immigrante­s et racisées.

La professeur­e constate aussi qu’une des conditions « pour maintenir la discrimina­tion », c’est la confidenti­alité sur les salaires. « Tant que les gens ne parlent pas, ça crée les conditions pour reproduire les inégalités et donne l’illusion aux femmes qu’elles ne sont pas discriminé­es. »

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