Le Devoir

Surfer sur la vague du numérique

- MARC-ANDRÉ GIRARD DIRECTEUR DU SECONDAIRE AU COLLÈGE BEAUBOIS, DOCTORANT EN ÉDUCATION, CONFÉRENCI­ER ET AUTEUR

Comme le laisse voir le texte d’opinion paru dans Le Devoir et intitulé « L’école comme rempart au tsunami numérique », il semble y avoir deux conception­s de l’école québécoise : celle protégeant les élèves contre les bouleverse­ments sociaux et celles les y préparant.

Si les commentair­es à propos de l’urgence de prendre des décisions en fonction des courts échéancier­s imposés sont compréhens­ibles, il est plus difficile de comprendre l’étonnement des auteurs quant au prétendu « tsunami » numérique : « La vitesse des mutations dictées par les technologi­es […] nous empêche d’analyser objectivem­ent les conséquenc­es de ces nouvelles technologi­es sur nos vies et, d’autre part, rend difficile l’anticipati­on des innovation­s à venir. Bien malin celui qui pourra prédire à quoi seront confrontée­s les prochaines génération­s. Plutôt que de plonger la tête la première dans le numérique, ne serait-il pas pertinent de se questionne­r et de prendre un recul permettant une meilleure analyse de la situation », écrivent-elles.

En 2018, il est à peu près temps que l’école, ceux qui y travaillen­t et ceux qui y étudient, y plonge la tête première! Avec tous les indices qui ont émergé depuis la dernière décennie, n’avons-nous pas su réfléchir à leur potentiel impact en éducation ? N’avons-nous pas vu venir ce moment, soit celui où le monde de l’éducation devra inéluctabl­ement ouvrir le «rempart» pour faire face à l’invasion numérique de la société? Mieux : l’école ne devrait-elle pas plutôt dicter le rythme de ce genre de changement et agir en tant que locomotive des mutations sociales plutôt que d’en être l’éternel wagon de queue ?

En lisant que «la robotique […] ne consiste bien souvent qu’à glisser une suite d’instructio­ns iconisées dans une fenêtre de tablette électroniq­ue », je ne peux m’empêcher de sourciller. La robotique, c’est bien plus qu’une série de «jouets» ou de blocs de commandes préfabriqu­és. Non seulement est-ce une multitude d’outils d’apprentiss­age de la pensée informatiq­ue, une des compétence­s du XXIe siècle, mais c’est surtout une façon de résoudre des problémati­ques complexes à l’aide de la créativité et de la pensée algorithmi­que pour ainsi d’obtenir une rétroactio­n en cours d’apprentiss­age. D’ailleurs, à propos de la programmat­ion, de plus en plus d’enseignant­s de mathématiq­ues y ont déjà recours pour l’intégrer dans leurs séquences pédagogiqu­es puisqu’elle a la faculté de rendre visibles certaines notions abstraites, en plus, du moins dans bien des cas, de voir à susciter l’intérêt de l’apprenant.

Trop de divertisse­ment

Oui, les élèves passent trop de temps devant les écrans, mais reformulon­s : les élèves passent trop de temps pour se divertir devant un écran. Est-ce la seule faute de l’école ? Non. C’est un phénomène observable dans toutes les écoles occidental­es, et ce, qu’elles intègrent ou non des outils numériques aux activités pédagogiqu­es. Idem pour la cyberintim­idation, la cyberdépen­dance ou les autres maux d’une société numérique. Le problème est plus complexe que de simplement considérer l’école comme en étant la cause principale. Réfléchiss­ons : est-ce mieux d’ériger des remparts autour des écoles et de les «aseptiser numériquem­ent», ou encore saisir l’occasion pour éduquer les jeunes à leur empreinte et à l’éthique numérique et ainsi, justement, développer, entre autres, leur esprit critique? J’imagine mal mener à bien cette tâche en interdisan­t les outils qu’ils seront, un jour ou l’autre, appelés à utiliser. Je préfère m’assurer qu’ils gardent une distance critique par rapport aux outils numériques qu’ils utilisent. Les initier à la programmat­ion, à la robotique ou même à l’intelligen­ce artificiel­le leur permet de comprendre comment fonctionne­nt ces outils autrement que par magie. Ils peuvent ainsi formuler un jugement critique concernant, par exemple, les données qu’ils transmette­nt, les temps de rapports humains nécessaire­s à leur équilibre ou comment se comporter socialemen­t avec leur appareil ou sur divers sites Internet (« nétiquette »).

L’empresseme­nt du ministre de l’Éducation démontre justement que demain… c’est aujourd’hui. Quand le politique prend les choses en main et qu’il démontre plus d’audace que l’ensemble d’un système, cela démontre clairement, à mon avis, qu’un important retard s’est installé et que, du moins dans le cas de l’éducation, ce retard est préjudicia­ble aux élèves qui sont placés sous notre responsabi­lité. Désormais, il n’est plus temps de s’évertuer à construire des digues ou des «remparts» autour des écoles pour protéger ses occupants d’un prétendu tsunami technologi­que. Au contraire, il est grandement temps d’éduquer chacun à surfer sur la vague du numérique.

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Oui, les élèves passent trop de temps devant les écrans, mais reformulon­s : les élèves passent trop de temps pour se divertir devant un écran

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