Le Devoir

Souldia, le survivant: rencontre avec un vétéran de la scène hip-hop, sorti de la rue grâce à son art

Rencontre avec un vétéran de la scène hip-hop, sorti de la rue grâce à son art

- PHILIPPE RENAUD COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

«Si y a pas un peu d’espoir et de lumière dans tout ça, ça ne sert à rien », affirme Souldia à propos de ses chansons. Vétéran de la scène hip-hop de la capitale, l’ancien membre du collectif Facekché a mis cinq albums en solo — et toute une vie, très mouvementé­e — pour devenir l’un des rappeurs les plus populaires au Québec. Il s’estime chanceux de pouvoir faire aujourd’hui ce dont il a rêvé toute sa jeunesse : « Toute ma vie, j’ai grandi avec des vrais bandits, dit-il. Je suis le dernier survivant. Autour de moi, y en a un qui est décédé, l’autre en prison, un qui a été déporté, l’autre est recherché… » C’est le titre de son prochain album, attendu en septembre : Survivant. Et prêt à célébrer sa survie samedi aux Francos.

La nouvelle avait rapidement fait le tour de la petite planète rap québécoise, l’automne dernier : le rappeur Infrak a été trouvé sans vie chez lui. Mort dans son sommeil, à l’âge de 33 ans. C’était l’un des piliers de l’étiquette Explicit Production­s et un proche de Souldia, qui lui dédiera une chanson sur son prochain album.

« Ça a brassé beaucoup émotionnel­lement ces derniers temps, mais d’un autre côté, dans ma vie personnell­e, ça va super bien », ce qui explique le ton nettement plus léger emprunté sur l’album Ad

vitam aeternam, paru l’an dernier. Un ton qui tranche avec les chroniques parfois violentes, souvent maussades, des précédents disques de l’artiste devenu une des têtes d’affiche du street rap local.

« Ça sort inconsciem­ment », estime le rappeur, reconnu pour sa voix graveleuse et sa prosodie rigide qui lui fait peser chaque mot. « Quand je fais un album, il a la couleur de mon mode de vie, de ce que j’ai vécu dans la dernière année. Si j’ai passé une année dans le noir, que ça va pas bien, que je fais face à trop de situations, encore du vieux business de rue, tu vois ce que je veux dire ? Alors, c’est sûr que l’album va être plus sombre. S’il y a de la couleur dans mon album, y a de la couleur dans ma vie. »

Il y en a sur Ad vitam aeternam — hé, Souldia y chante même ! —, il y en aura aussi sur Survivant. La couleur des beaux jours, le bonheur d’être père de famille et d’enfin pouvoir vivre de son art — le rêve du p’tit gars ayant grandi dans un HLM de Limoilou, qui a fricoté du mauvais côté de la loi et qui a même fait un détour par la prison pour possession d’arme illégale. « Je pense que le nouvel album est un mélange explosif de toutes les expérience­s acquises dans ma carrière », avec des raps encore plus serrés, la voix « moins sur les mélodies » comme sur le dernier album, et une chanson pour l’ami Infrak. « C’est la chanson qui m’a pris le plus de temps à faire, et ce sera la dernière que j’enregistre­rai. On dirait que j’ai du mal à trouver les bons mots, que l’émotion prend trop le dessus. Lui dire ce que j’ai toujours voulu lui dire. »

Mauvaise presse

Ce que l’on désigne comme le street rap, le rap qui chronique la vie dure, la réalité de la rue, a mauvaise presse. Ou plutôt : à peu près pas de presse. Avant, se rappelle Souldia, « on était marginalis­és. Y avait pas d’Internet, pas de place pour nous dans les radios puisque ce sont les autres qui décidaient de ce qu’on devait écouter. Aujourd’hui, grâce aux réseaux sociaux notamment, les musiciens n’ont plus besoin des radios. Envers et contre les médias, le rap existe — c’est présenteme­nt le style de musique le plus écouté au monde. Et, by the way, je trouve ça cool que les médias tout d’un coup s’intéressen­t plus au hip-hop. »

En vérité, faudrait être sourd, ou borné, pour ne pas entendre ce qui se passe, autant auprès de la nouvelle vague de MC d’ici (Loud et FouKi, pour ne nommer qu’eux) que chez ces artistes qui présentent une réalité plus grave et sombre de la musique hip-hop. Prenez Souldia : la semaine dernière seulement, deux de ses chansons plus récentes, Espérance et Corbeau, ont atteint le million de visionneme­nts sur YouTube, rejoignant ainsi Inoubliabl­e (1,7 million),

Condamné (1,3 million) et Chacun sa manière, le premier extrait du prochain album, qui a atteint 1,4 million de vision- nements en seulement deux mois. Des scores d’autant plus impression­nants qu’ils ont été atteints sans le soutien de la télé ou de la radio.

Il est là, l’espoir revendiqué. Envers et contre tout, faire sa place. Souldia est sorti de la rue, dit-il, grâce au rap. « Aujourd’hui, ça va loin » avec Explicit Production­s, qui possède des boutiques, en plus de gérer une maison de disques. Souldia donne plus d’une cinquantai­ne de concerts par année, s’enferme en studio et planifie le tournage de ses clips, toujours très profession­nels et soignés. Le reste du temps, il le passe auprès de sa famille, « mais la rue n’est jamais bien loin, des amis y sont encore. Je pense, à cause de la vie que j’ai menée, que je vais toujours avoir affaire à la rue, jusqu’à la fin de mes jours. Quand j’entends parler d’un gars qui va pas bien, qui est à deux doigts de la prison, c’est sûr que je vais le voir pour lui parler. C’est ce gars-là que je suis devenu ».

Espoir

Un récent webreporta­ge réalisé par Vice donne la pleine mesure du chemin parcouru par Souldia depuis sa sortie de prison, il y a huit ans. On le suit sur la route, de Limoilou jusqu’à la réserve d’Obedjiwan, près de La Tuque. Qui d’autre que Souldia, ou un chanteur country tout aussi boudé des médias que les rappeurs hardcore de sa trempe, ose aller donner des concerts là-bas ?

« Chaque fois que je vais là, j’en reviens chamboulé, confie le rappeur. Ça se passe dans l’émotion. J’arrive toujours très tôt avant le concert pour passer du temps avec eux, c’est de toute beauté. » Comme ces millions de fans qui ont visionné les clips de Souldia, les jeunes d’Obedjiwan se reconnaiss­ent dans les luttes, les échecs et les espoirs portés par les textes du MC.

« C’est sûr que, la première fois que j’ai donné un concert là-bas, les Anciens me regardaien­t de loin. Dans le conseil de bande, y avait de la résistance — et ils ont raison, il est tellement arrivé de choses dans le passé quand les hommes blancs débarquaie­nt», poursuit Souldia, qui a grandi dans un HLM pour autochtone­s à Québec puisque sa grand-mère est d’origine montagnais­e. « Quand j’étais petit, mes amis étaient tous Amérindien­s ; les familles qui arrivaient étaient souvent démolies. Je savais la détresse des réserves avant même d’y avoir mis les pieds… »

Le reportage de Vice montre combien ce concert de Souldia fait du bien. On fait même la connaissan­ce d’un jeune artiste qui, inspiré par Souldia, commence à raconter sa réalité dans ses textes. «La deuxième fois que je suis retourné à Obedjiwan, j’ai été reçu par un comité de mamans qui nous ont fait à manger. Les hommes nous ont amenés à la chasse avec eux ; on a goûté au gibier là, dans la forêt. C’est là que j’ai senti que j’avais atteint quelque chose. »

Souldia

En concert samedi, 20h, angle Sainte-Catherine et Jeanne-Mance

Envers et contre les médias, le rap existe — c’est le style de musique le plus écouté au monde SOULDIA

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OLIVIER ROBITAILLE Un récent webreporta­ge réalisé par Vice donne la pleine mesure du chemin parcouru par Souldia depuis sa sortie de prison, il y a huit ans.

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