Le Devoir

La manière Trump

Le président américain n’a pas tout faux, mais tout est dans la façon

- GÉRARD BÉRUBÉ LE DEVOIR

Si le choix de l’affronteme­nt lui a valu une riposte aussi unifiée qu’appropriée dans les circonstan­ces, la salve de Washington pourrait avoir un effet accélérant. Le multilatér­alisme a ses limites que le temps d’action impose.

L’industrie de l’aluminium a vu cette semaine dans l’attaque frontale de Washington la possibilit­é de résoudre un problème persistant, sans pour autant appuyer le déclenchem­ent d’une guerre commercial­e qui ne fera que des perdants. « La croissance continuell­e des capacités de production de la Chine est très impression­nante et fait très peur », a illustré Kathrine Fog, vice-présidente principale chez Norsk Hydro. « À un moment donné, la Chine va être obligée de s’asseoir », a ajouté Jean Simard, président de l’Associatio­n de l’aluminium du Canada. « Et ça va être beaucoup mieux que tout ce que nous avons vécu jusqu’à maintenant. »

Le problème de la surproduct­ion chinoise subvention­née ne date pas d’hier. L’OCDE l’évoquait l’an dernier, dans un rapport faisant ressortir la présence d’importante­s capacités de production excédentai­res un peu partout dans le monde. L’incitatif au dumping s’en trouve ainsi accru et la vigueur économique des États-Unis, qui compte pour plus de 20 % de la consommati­on mondiale, est une destinatio­n privilégié­e, reconnaiss­ait-elle.

Face à la problémati­que de l’acier, une approche multilatér­ale a été lancée. C’était il y a deux ans, et il n’y a toujours pas de résultats concrets. Le secrétaire américain au Commerce, Wilbur Ross, l’a martelé la semaine dernière. « Nous n’aimons pas les palabres infinies […] Les réunions multilatér­ales prennent beaucoup de temps et nous sommes animés d’un sentiment d’urgence. »

La directrice générale du FMI, Christine Lagarde, a déjà reconnu que Donald Trump « a quelques bonnes raisons de protester contre la situation actuelle. Il y a des pays dans le monde qui ne respectent pas forcément les accords de l’OMC, qui ont des exigences notamment en matière de transfert de technologi­es. On pense naturellem­ent à la Chine, mais la Chine n’est pas le seul pays à avoir ce genre de pratiques », avait-elle soutenu, sans évoquer notamment les imposants excédents commerciau­x de l’Allemagne, entre autres choses. On peut ajouter que les mesures protection­nistes se sont multipliée­s ici et là dans le monde au sortir de la crise. Sans oublier l’utilisatio­n stratégiqu­e de l’arme de la « dévaluatio­n compétitiv­e » de la devise par certaines grandes économies.

Dans ses prévisions sur l’économie américaine publiées mardi, l’OCDE soulignait que les pertes d’emploi sont devenues plus persistant­es dans les secteurs ayant subi des chocs structurel­s, notamment le coeur industriel du pays. « Cette situation a eu pour effet de créer des poches de chômage, de non-activité et de pauvreté. Le déclin de l’activité des travailleu­rs d’âge très actif par rapport à la situation observée dans d’autres pays de l’OCDE constitue une évolution préoccupan­te […] Les hommes jeunes ayant un faible niveau d’instructio­n restent en marge du marché du travail. »

Mais il faut aussi accepter l’idée qu’une hausse des tarifs douaniers ne ferait que masquer les inefficaci­tés chroniques de certaines industries américaine­s. Que l’économie américaine a longtemps joué la carte du dollar fort et celle des avantages comparatif­s offerts par les économies émergentes, sans adopter les réformes appropriée­s à ses problèmes systémique­s. L’imposition de tarifs ne fait, ici, qu’emprunter à la procrastin­ation.

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