Le Devoir

Les sacrifices dont on ne parle (presque) pas

Pour découvrir la face cachée du monde des entreprise­s en démarrage, Le Devoir vous présente Le mythe start-up, un balado qui franchit chacune des étapes du véritable parcours d’un entreprene­ur, ici à travers l’histoire du cofondateu­r de Clinia.ca, Simon

- KARL RETTINO-PARAZELLI LE DEVOIR

À l’époque où il travaillai­t chez L’Oréal Canada, Simon Bédard a goûté à la vie d’un salarié « ordinaire ». Au salaire garanti, à l’horaire stable, aux avantages sociaux. Lorsqu’il a choisi de se lancer tête première dans le monde de l’entreprene­uriat, il savait qu’il allait devoir mettre une croix sur certains acquis, mais il n’aurait jamais pu prévoir que sa vie basculerai­t à ce point.

« Tu n’as aucune idée des sacrifices que tu vas avoir à faire lorsque tu te lances en affaires. Tu peux le lire, tu peux en entendre parler […], mais c’est assez unique à chacun », raconte-t-il dans le sixième et dernier épisode du Mythe start-up.

Dans l’immédiat, il a dû renoncer à des sorties ou à des biens matériels. Changer sa garde-robe ou prendre une bière le samedi soir pouvait soudaineme­nt attendre, quand chaque dollar comptait. « Lorsque tu retombes à un faible salaire, ou à pas de salaire du tout, tu n’as pas le choix de revoir tes priorités », fait-il remarquer.

De l’avis de la plupart des entreprene­urs, le plus grand sacrifice est cependant humain. Simon explique qu’il est parfois difficile d’être sur la même longueur d’onde que ses proches, qui se demandent pourquoi il a renoncé aux avantages d’un emploi stable ou ce qui l’oblige à travailler à son entreprise un vendredi soir, par exemple.

« Quand tu as ta start-up, ton projet, ça devient central et tu ne peux pas prendre ça à la légère », dit-il.

« Tu fais juste me décourager »

Les sacrifices des jeunes entreprene­urs constituen­t bien souvent un sujet tabou dans le monde de l’entreprene­uriat. Les histoires d’entreprene­urs à succès qui tentent de révolution­ner le monde remplissen­t les pages des journaux — y compris Le Devoir —, mais le revers de la médaille fait rarement les manchettes.

« Je l’ai vu autour de moi, ça a détruit des couples, ça a détruit des familles, des finances personnell­es ont été ruinées aussi. Il faut donc sérieuseme­nt y réfléchir », souligne Marc-Antoine Ducas, président de la compagnie Netlift qui a été le mentor de plusieurs entreprene­urs québécois.

La directrice générale de la Fondation Montréal inc., Liette Lamonde, a également pu constater à quel point l’entreprene­uriat peut creuser un fossé entre un entreprene­ur et sa famille.

« Une jeune femme m’a même raconté qu’elle avait dit à sa mère : “Là, maman, je ne te parlerai pas pour les six prochains mois parce que je suis en train de lancer une entreprise, et que ça me tient à coeur. Tu ne comprends pas ce que je fais, et chaque fois que je t’en parle, tu fais juste me décourager. Et je n’ai pas besoin de ça.” »

L’accumulati­on du stress, qu’il soit de nature financière ou autre, peut avoir de graves conséquenc­es sur certains entreprene­urs. Un sondage dévoilé en début d’année par le Regroupeme­nt des jeunes chambres de commerce du Québec (RJCCQ) indique que 71,5 % des entreprene­urs interrogés ont dit faire face à un niveau élevé de détresse psychologi­que, et que ceux et celles qui sont en affaires depuis moins de cinq ans sont les plus touchés.

Selon l’étude, 11,1% des entreprene­urs souffrent de dépression modérée et 6,6 %, de dépression sévère. « Cela peut paraître élevé puisque, à titre indicatif, 12,2% de la population québécoise souffre d’un épisode dépressif au cours de sa vie », souligne le RJCCQ.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces résultats, mais le sondage offre quelques indices : 43 % des entreprene­urs interrogés travaillen­t plus de 50 heures par semaine et moins du tiers d’entre eux prennent plus de deux semaines de vacances par année.

« Cette étude met en lumière un aspect trop peu connu de l’entreprene­uriat, a déclaré en janvier le p.-d. g. du RJCCQ, Monsef Derraji, en insistant sur l’importance de briser l’isolement des entreprene­urs. Il est temps de prendre au sérieux une telle problémati­que et de tenter d’y apporter des solutions. »

 ??  ?? Écoutez Le mythe startup sur les plateforme­s numériques du Devoir
Écoutez Le mythe startup sur les plateforme­s numériques du Devoir

Newspapers in French

Newspapers from Canada