Pierre Karl Péladeau attaque le projet de La Presse
Le patron de Québecor appelle les employés du quotidien à s’assurer de ne pas avoir été dupés par la direction
Se débarrasser de La Presse pour 50 millions, c’est une très bonne affaire pour les actionnaires de Power Corporation PIERRE KARL PÉLADEAU
Le président et chef de la direction de Québecor, Pierre Karl Péladeau, invite l’Assemblée nationale à ne pas se faire le complice d'«un forcing » en adoptant à toute vapeur un projet de loi permettant à La Presse de passer sous le contrôle d’un organisme à but non lucratif (OBNL). Il soupçonne Power Corporation d’utiliser ce « subterfuge » « pour se débarrasser à peu de frais de La Presse ».
« Il ne faut pas oublier que, lorsque La
Presse a fermé ses importantes activités d’impression et de distribution […] les employés syndiqués ont reçu cinq ans de salaire. Si les mêmes hypothèses étaient retenues dans le cas présent, ce n’est pas 50 millions que ça coûterait à La Presse, mais 275 millions », a déclaré M. Péladeau en commission parlementaire mercredi soir. « Alors, vous comprenez que de se débarrasser de La Presse pour 50 millions, c’est une très bonne affaire pour les actionnaires de Power Corporation», a-t-il ajouté. L’ex-chef du Parti québécois a appelé à demi-mot les employés de La Presse à s’assurer de ne pas avoir été dupés par la direction.
Projet de loi 400
Des employeurs, des employés, des syndicats, des regroupements de journalistes ont défilé toute la journée dans la salle du Conseil législatif afin d’exhorter les élus à adopter le projet de loi 400, ce qui permettrait au quotidien de déployer un nouveau plan d’affaires.
L’élue indépendante Martine Ouellet a posé un certain nombre de conditions à son appui au projet de loi 400, dont l’indépendance des artisans de La Presse par rapport à la famille Desmarais. Elle regrettait mercredi soir de ne pas avoir eu une telle assurance de la part des représentants de La Presse et de Power Corporation du Canada. Elle craint de voir l’État québécois éventuellement « investir» dans une ligne éditoriale «clairement fédéraliste », « pour le grand capital » et « pour le néolibéralisme ».
À moins de 10 jours de la fin de la session, la chef démissionnaire du Bloc québécois refusait toujours de s’engager à permettre à l’Assemblée nationale de se prononcer sur le projet de loi 400.
L’état-major de La Presse a appelé sans la nommer Mme Ouellet à y réfléchir à deux fois avant d’empêcher le projet de loi 400 d’être mis aux voix d’ici la fin de la session parlementaire. « Ce serait un affront majeur à la démocratie, parce que
La Presse joue un rôle important dans la démocratie», a déclaré l’éditeur de La
Presse, Guy Crevier, lors de son passage à l’Assemblée nationale mercredi.
Si elle devient un OBNL, La Presse jouira d’une « totale indépendance », a promis le cochef de la direction de Power Corporation, André Desmarais, à la Commission de la culture et des communications.
Power Corporation a convenu d’octroyer 50 millions de dollars, en plus de garder à flot le régime de retraite des employés de La Presse, afin de maximiser les chances de succès du quotidien, et ce, sans conditions. « Notre [contribution de] 50 millions n’a pas d’attaches », a spécifié le propriétaire de La Presse.
L’homme d’affaires a invité les élus à « ne pas hésiter » à permettre à La Presse de lancer une nouvelle offensive contre les géants du Web, Google et Facebook, qui ont fait main basse sur le socle du modèle d’affaires de nombreux médias : les revenus de publicité.
Le leader parlementaire de l’opposition officielle, Pascal Bérubé, lui a demandé si les éditorialistes de La Presse « un journal important dans notre démocratie », at-il souligné auront toujours pour mission de défendre le fédéralisme canadien. « Je n’ai pas fait de demande. Est-ce que c’est un souhait ? Oui ! Moi, je souhaite que La Presse garde sa mission et qu’elle continue d’être ce qu’elle est », a répondu sans détour M. Desmarais, qui a «exercé [son] droit de propriétaire sur ces questions-là» au fil des cinquante dernières années.
L’avenir permettra de savoir si La
Presse constitue un OBNL « pleinement indépendant », a indiqué le directeur du
Devoir, Brian Myles. « Aucun média au Québec n’a besoin de passer à l’Assemblée nationale pour changer sa structure juridique », a-t-il fait remarquer, qualifiant au passage « la loi privée de 1967 » encadrant la structure de propriété de La
Presse « d’une autre époque ». « Elle n’a plus sa raison d’être dans le contexte de 2018. [Elle] a épuisé son utilité », a-t-il soutenu. M. Myles a profité de son passage au Parlement pour dissuader les élus d’adopter « une approche clientéliste seulement pour La Presse » en matière d’aide aux médias d’information. « Il faut le faire d’une manière universelle », a-t-il insisté.