Le Devoir

Les futurs enseignant­s pâtiront de la supervisio­n à distance

- LETTRE COLLECTIVE*

La décision de l’Université Laval d’abolir les postes de chargés de cours responsabl­es de la supervisio­n des stages en milieu scolaire dans les programmes de formation des enseignant­s du primaire et du secondaire, au profit d’une supervisio­n à distance, nous consterne. Dans une période où il est reconnu que la persévéran­ce des jeunes enseignant­es et enseignant­s est mise à rude épreuve et que 40 % abandonnen­t la profession dans les cinq premières années, cette décision va fragiliser encore davantage leur formation. Nous dénonçons cette décision qui relève d’un choix pédagogiqu­e et politique inappropri­é et incompréhe­nsible, d’autant plus que l’Université Laval n’a pas fait la démonstrat­ion des effets positifs de cette approche technologi­que de la supervisio­n.

Au détriment des stagiaires

Dans un communiqué de l’Université Laval publié le 24 mai dernier, on lit que « la refonte du programme implique un plus grand engagement, une participat­ion et une présence accrue du futur personnel de supervisio­n auprès des stagiaires ». Contradict­ion dans les termes ? Présence accrue, mais « à distance » ? Engagement et participat­ion améliorés, mais deux fois moins de temps à consacrer à chaque stagiaire, comme l’a rapporté RadioCanad­a ? Au final, c’est 52 superviseu­rs qui seront remplacés par 5 personnes. Où s’en va-t-on ?

Sous prétexte de « pouvoir observer et analyser la prestation d’un stagiaire sous différents angles », vous abandonnez le regard aguerri de superviseu­rs ayant des années d’expérience en enseigneme­nt primaire et secondaire. Pour quelles raisons? Pour mettre à profit des outils technologi­ques. Nous ne sommes pas contre l’emploi de ces outils technologi­ques, mais seulement en complément du regard humain porté sur le travail des stagiaires. Recourir à un mode exclusif de supervisio­n par vidéoscopi­e va non seulement affaiblir la relation directe entre les superviseu­rs et les stagiaires, cela présentera une vision toujours partielle du milieu sur laquelle se basera l’évaluation à distance. La compréhens­ion des superviseu­rs de stage sera appauvrie en raison du manque d’immersion dans le milieu scolaire.

Autre fait inquiétant, aucune exigence relative à une expérience d’enseigneme­nt aux niveaux primaire et secondaire n’est désormais requise pour les personnes qui occuperont les nouveaux postes de supervisio­n. Comment peut-on conseiller et évaluer des stagiaires sans avoir une expérience de cet enseigneme­nt et une connaissan­ce directe des élèves ?

Un métier humain avant tout

Rappelons que l’outil fondamenta­l en enseigneme­nt, c’est d’abord la personne. Nous craignons que les changement­s annoncés se fassent au détriment de l’intégratio­n harmonieus­e des stagiaires dans le milieu scolaire. Enseigner est exigeant et nos stagiaires ont besoin d’écoute, d’encouragem­ent et de soutien dans les moments difficiles. C’est ce volet humain qui fera d’eux des intervenan­ts signifiant­s et efficaces, usant de jugement profession­nel. En attendant que leur gestion de classe prenne de l’aplomb, que leur singularit­é se déploie comme enseignant, c’est sur le plan humain qu’ils ont besoin d’accompagne­ment. Actuelleme­nt, le défi de la gestion de classe et de la mission éducative demande de plus en plus des intervenan­ts solides, conscients de la complexité des relations. Favoriser la confiance en soi influence l’interventi­on du stagiaire en classe, ce qui a, par le fait même, un effet positif sur les apprentiss­ages.

Par ailleurs, comment faire une rétroactio­n complète si la vidéo ne nous donne pas accès à l’ensemble des élèves de la classe, au travail en sous-groupes, au corridor lors des déplacemen­ts ? Notre présence dans le milieu est assurée non seulement en cas de difficulté­s, mais tout au long du stage. Superviser un stage en milieu scolaire, c’est voir surgir les problèmes et chercher des solutions avant qu’ils ne soient devenus trop importants ; c’est prévenir plutôt que guérir.

Un renvoi cavalier

Le renvoi cavalier de la très grande majorité des superviseu­rs actuels laisse un goût amer. Comme seul remercieme­nt pour les 10 ou 20 années d’engagement envers nos étudiants à l’Université Laval, nous n’avons eu droit qu’à une seule petite phrase au bas d’un courriel, courriel qui portait d’ailleurs sur un autre sujet. Non seulement nous perdons un emploi que nous aimons, mais nous sommes remerciés du revers de la main. Comment peut-on accepter d’être traités ainsi par un établissem­ent qui devrait être un modèle pour la société, notamment sur le plan des ressources humaines ? * Les superviseu­res et superviseu­rs de stage Jean-Guy Allard, Sylvie Gladys Bidjang, Édith Blais, Francine Boily, André Bond, Mario Boucher, Serge Boutin, Jean Blouin, Marie Brousseau, Yvan-Daniel Caron, Gilles Carrier, Nelson Fecteau, André Fortier, Aline Gagnon, Christine Gendron, Grégoire Goulet, Rhéo Lacroix, Nicole Laroche, Murielle Larouche, Alain Lepage, Charlotte Lessard, Louis Marcotte, Claire Mercier, Raymond Morin, Marc Morel, Pierrette Richer, Conrad Roy, Denise Riou, Rodrigue Samuel, Geneviève St-Maurice, Jean-Pierre Theil, Pierrette Tremblay.

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