Trop peu, trop tard pour le projet de SRB sur le boulevard Pie-IX ? |
Après avoir été sur la table pendant près d’une décennie, les travaux du projet de SRB Pie-IX débuteront finalement cet automne. Mais dix ans plus tard, s’agit-il encore du bon mode de transport ?
En optant pour un système rapide par bus (SRB) plutôt qu’un tramway sur le boulevard Pie-IX, la Ville de Montréal choisit un mode qui peinera à répondre aux besoins en transport collectif dans ce secteur de la ville, et ce, dès ses premières semaines d’activité. Plus encore, le projet a de bonnes chances, à terme, de nous coûter plus cher en frais d’exploitation, selon les experts interrogés par Le Devoir.
« C’est une occasion manquée pour Montréal, laisse tomber avec un soupir rageur Luc Gagnon, consultant en énergie, transport et changement climatique. Plus que ça, c’est trop peu, trop tard parce que, si on se fie à ce qui se fait ailleurs présentement et aux prédictions d’achalandage, ça risque de devenir rapidement ingérable. Je ne serais pas surpris qu’on nous annonce dans quelques années qu’on passe à la vitesse supérieure et qu’on met finalement en place un réseau de tramway. »
Question d’achalandage
Le projet de l’axe Pie-IX, dont la construction devrait enfin se mettre en branle à l’automne, prévoit pour le moment que 70 000 personnes emprunteront le SRB sur une base quotidienne à compter de sa mise en service en 2022. Cela équivaut, en moyenne, à près de 3000 passagers par heure. Or, selon les travaux effectués par PierreLéo Bourbonnais, associé de recherche et chargé de cours à Polytechnique Montréal, cela aurait été amplement suffisant pour justifier l’implantation d’un réseau de tramway dans ce secteur de la ville.
« En général et au regard des moyennes internationales, on estime qu’à partir de 2500 passages par heure, on a un achalandage assez important pour qu’une ligne de tramway ou un système léger sur rail soit mis en place, explique l’ingénieur de formation. Dans le cas de Pie-IX, l’achalandage sur les lignes d’autobus actuelles se situe déjà dans les « plages tramway », la question ne devrait donc même pas se poser. Faire un SRB, c’est malheureusement un peu du gaspillage. »
Plus encore, compte tenu de la fréquence de passages prévue sur les voies réservées, il sera très difficile, voire impossible, d’augmenter le nombre d’autobus en circulation advenant une hausse d’achalandage. De fait, à l’heure actuelle, à peine une minute — 55 secondes en heure de pointe — devrait s’écouler entre le passage de deux autobus.
« Le SRB ne roulera pas avant 2022 et il est déjà saturé, ironise Luc Gagnon, également chargé de cours à l’École de technologie supérieure. Et vu la fréquence élevée du service, il risque d’être très vulnérable… Il suffira qu’un bus ait du retard et on va se retrouver devant un cortège d’autobus coincés sur une voie réservée ! C’est ce qu’on a vu à Ottawa. C’est entre autres pour cette raison qu’ils ont décidé de transformer leur SRB en tram. C’est ce qui se passe à Québec, qui a longtemps tergiversé, mais qui préfère finalement le tramway au SRB. Il y aurait moyen d’apprendre des expériences des autres. »
Coût d’exploitation
Plus flexible, plus fiable et plus structurant, le tramway a pourtant bien mauvaise presse au Québec, notamment en raison de son coût d’implantation élevé. C’est toutefois manqué de vision à long terme, estime Pierre-Léo Bourbonnais de Polytechnique Montréal. Selon les calculs de son équipe, les coûts d’exploitation d’un tramway sur l’axe Pie-IX reviendraient à environ 28 ¢ par passager par kilomètre parcouru. Selon la même logique, les coûts d’exploitation estimés pour le même tracé effectué en SRB s’élèveraient à environ 37 ¢. « Le tramway coûte cher au départ, je vous le concède, mais une fois qu’il est en marche, les coûts d’exploitation sont moindres par rapport à ceux d’un service d’autobus, ne serait-ce que parce qu’on a moins de chauffeurs à payer. Et c’est encore plus vrai en Amérique du Nord, où les salaires des chauffeurs sont substantiels. »
« Il ne faut pas juste tenir compte du tracé et des rails, rajoute le chargé de cours. Il faut calculer les coûts d’exploitation, l’achat et le remplacement des véhicules, la construction des infrastructures, l’intérêt de l’emprunt du gouvernement… » Au bout de trente ans — et après avoir changé au moins deux fois de flotte d’autobus —, on parle d’une différence de 30 à 40 millions de dollars par année, souligne pour sa part Luc Gagnon qui milite depuis des années pour l’implantation d’un réseau de tramway dans l’est de la métropole.
Infrastructures flexibles
Quand on lui demande s’il avait pensé réviser le projet de SRB, le directeur exécutif responsable des relations avec les exploitants et de la gestion des infrastructures au sein de l’ARTM, Benoit Gendron, explique que son équipe a «hérité d’un projet qui était déjà amorcé ». « Quand nous sommes arrivés en place, il n’y avait plus vraiment de changements possibles, raconte-til. Le dossier d’opportunité avait été approuvé, des investissements avaient été faits… Il ne nous restait qu’à présenter le dossier d’affaires qui vient finaliser les plans et devis. Nous n’avons pas eu beaucoup de jeu. »
Rien n’indique toutefois qu’un projet de tramway ne pourra jamais voir le jour sur cet important axe routier montréalais. « Entendez-moi bien, je ne suis pas en train d’annoncer une phase deux au SRB Pie-IX, insiste tout de même le directeur exécutif. Ce que je dis, c’est que les nouvelles infrastructures prévues dans le cadre du projet auront la capacité de soutenir des rails au besoin, elles seront assez flexibles pour ne pas nous limiter dans le futur. Il est encore trop tôt par contre pour savoir de quoi ce futur sera fait. »