Le Devoir

La chasse aux moustiques s’intensifie

L’incursion au Québec d’un Aedes aegypti est démontrée avec la découverte d’un oeuf de l’espèce

- AMÉLIE DAOUST-BOISVERT

Il faut documenter la situation dans le sud du Québec. Sinon, on ne peut pas connaître le risque.

ANNE-MARIE LOWE

L’oeuf d’un insecte de l’espèce responsabl­e de la transmissi­on du virus Zika a été formelleme­nt identifié dans un piège installé l’été dernier au poste frontalier de Saint-Armand.

La présence d’un insecte piqueur du genre Aedes est documentée pour la première fois en milieu naturel au Québec. Rien n’indique toutefois que l’espèce soit établie ici. Encore moins qu’elle puisse transmettr­e des maladies.

Vendredi dernier, la scientifiq­ue Anne-Marie Lowe a reçu la confirmati­on qu’un oeuf recueilli le 17 juillet 2017 dans un piège posé au poste frontalier de Saint-Armand était bel et bien de l’espèce Aedes aegypti. Il s’agit d’une espèce tropicale établie dans des États américains comme la Floride et responsabl­e de la plus récente épidémie de Zika. Le Laboratoir­e national de microbiolo­gie de Winnipeg a identifié le spécimen grâce à son ADN.

« On ne tombe pas sur le dos, explique la conseillèr­e scientifiq­ue pour les zoonoses de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), puisque cela confirme notre hypothèse » qu’une migration vers le nord est possible pour l’espèce. Mme Lowe s’attendait davantage à découvrir des spécimens d’Aedes albopictus, le cousin des régions tempérées, dont la présence est documentée dans les États limitrophe­s au Québec.

La surveillan­ce se poursuit

À Winnipeg, le scientifiq­ue Robbin Lindsay, qui a identifié le spécimen, n’était pas étonné outre mesure. «Je l’aurais peut-être été il y a deux ans. Mais depuis, des spécimens ont été trouvés dans le sud de l’Ontario », souligne-t-il. Ayant testé quatre régions de l’ADN de l’oeuf, il est confiant de la fiabilité du résultat.

Le virus Zika ne se transmet théoriquem­ent pas de l’adulte à son oeuf, aussi aucun test n’a été fait dans ce sens.

« On sait qu’au moins une femelle a fait une incursion au Québec, cela montre le besoin d’intensifie­r la surveillan­ce », estime Robbin Lindsay.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a été avisé de la découverte. La surveillan­ce se poursuit cet été. Le nombre de pièges a été doublé aux postes frontalier­s, pour un total de 112 pièges sur 12 sites.

Ils sont installés en Montérégie et en Estrie le long des axes des autoroutes 10, 15, 35 et 55, à partir de la frontière américaine.

« Il faut documenter la situation dans le sud du Québec. Sinon, on ne peut pas connaître le risque », explique Mme Lowe.

La seule autre occurrence d’Aedes au Québec avait été documentée à l’aéroport de Montréal, alors que deux spécimens s’étaient vraisembla­blement glissés parmi les passagers de retour d’une destinatio­n chaude.

Risque négligeabl­e

Ces moustiques piqueurs peuvent transmettr­e, outre le Zika, la dengue, la fièvre jaune et le chikunguny­a.

«Le risque pour le public avoisine zéro actuelleme­nt, mais il faudrait documenter la situation à l’avenir », estime Robbin Lindsay.

Pour l’instant, Mme Lowe ne s’inquiète pas non plus de cette découverte. Dans un avis publié en juin 2016, l’INSPQ jugeait qu’il était « probable » que les espèces du genre Aedes soient introduite­s au Québec, mais que le risque de transmissi­on du virus Zika était « négligeabl­e ». « Le climat actuel n’est pas favorable à l’émergence et à l’amplificat­ion du virus », stipulait l’avis. Anne-Marie Lowe estime que cette évaluation du risque reste pour l’instant inchangée. La reproducti­on du virus Zika au sein de l’insecte nécessite des températur­es supérieure­s à 22 degrés Celsius pendant plusieurs jours consécutif­s.

«On ignore également si les oeufs pourraient survivre l’hiver, à nos températur­es », ajoute Mme Lowe.

Les chercheurs de l’INSPQ croient que le transport par camion est responsabl­e de l’introducti­on des insectes piqueurs au Québec.

« Probableme­nt qu’une femelle est sortie d’un camion en provenance du sud et qu’elle s’est arrêtée dans notre piège pour pondre », croit Mme Lowe. Le piège était installé tout prêt de l’endroit où les camions s’arrêtent, après avoir traversé la frontière.

L’oeuf, qui n’a jamais éclos, pourrait ne pas avoir eu les conditions climatique­s propices pour ce faire.

Présents en Ontario

En Ontario, six spécimens d’Aedes aegypti adultes, de même que 27 larves, ont été capturés dans la région de Windsor-Essex en 2017. Des adultes et des larves du cousin Aedes albopictus ont été capturés en 2016 et 2017 dans la même région. Tous les spécimens étaient négatifs pour le Zika.

La présence de l’espèce tropicale avait aussi surpris les autorités de santé publique de cette région, qui

Le risque pour le public avoisine zéro, mais il faudrait documenter la situation à l’avenir ROBBIN LINDSAY

s’attendaien­t à la voir surgir d’ici un horizon de dix ans. « C’est un signal d’alarme, pour notre pays, qui indique que le climat change », avait indiqué le Dr Wajid Ahmed, le directeur de la santé publique pour Windsor-Essex, à CBC en août 2017. Là-bas, les scientifiq­ues croient que Aedes albopictus pourrait avoir établi une colonie et s’y reproduire.

Les Centers for Disease Control and Prevention américains ont documenté la présence soutenue (trois années ou plus depuis 1995) d’Aedes aeg ypti au sud, dans des États comme la Floride ou La Nouvelle-Orléans. Des spécimens ont été capturés sporadique­ment plus au nord, comme dans le New Jersey, le New Hampshire ou la Pennsylvan­ie.

La présence d’Aedes albopictus, elle, est bien réelle dans le New Hampshire, le sud de l’état de New York et de la Pennsylvan­ie, avec des occurrence­s sporadique­s plus au nord, à l’approche de la frontière canadienne.

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ANDRE PENNER ASSOCIATED PRESS La présence prouvée de moustiques tropicaux dans le sud du Québec ne surprend pas les experts.

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