La victime
Pierre Paradis n’a jamais eu le profil de la victime. Durant ses presque 38 ans de vie politique, on a eu plus souvent l’impression que c’est ce vieux roublard qui roulait les autres dans la farine. Certes, il y a eu ce long purgatoire imposé par Jean Charest, qui l’avait exclu de son cabinet en 2003 pour des raisons qui n’ont jamais été très claires. Jusqu’à ce que le ciel lui tombe sur la tête en janvier 2017, la carrière du ministre de l’Agriculture n’en avait pas moins été un succès, même s’il n’a jamais pu réaliser son rêve de devenir chef et à terme premier ministre.
Dans l’entrevue à La Presse, le député de Brome-Missisquoi a dit être victime de la vengeance de son ex-chef de cabinet, Valérie Roy, qui, après avoir porté plainte contre lui pour inconduite sexuelle, l’aurait dénoncé à l’UPAC pour usage frauduleux de fonds publics, information que l’UPAC a préféré relayer au bureau de la commissaire à l’éthique de l’Assemblée nationale.
M. Paradis voit aussi dans ses mésaventures la main de l’Union des producteurs agricoles (UPA), avec laquelle il était en guerre plus ou moins ouverte, reprochant au passage au premier ministre Couillard de l’avoir « abandonné, humilié, trahi », en ne le soutenant pas dans ce bras de fer.
Que l’UPA ait souhaité sa chute ne change cependant rien à la nature des faits qui lui sont reprochés. Même si aucune accusation n’a finalement été portée, les gestes déplacés dont Mme Roy s’était plainte apparaissaient suffisamment troublants pour que M. Paradis soit exclu du Conseil des ministres et du caucus libéral, peu importe les motivations de la plaignante.
La pénalité de 24 443 $, une première dans l’histoire de l’Assemblée nationale, que lui a imposée la nouvelle commissaire à l’éthique est-elle trop sévère ? Lise Bissonnette lui a reproché une enquête « opiniâtre et acharnée », un « procès kafkaïen » dégageant « des odeurs de règlement de comptes ».
Quand elle est entrée en fonction, en mai 2017, Ariane Mignolet a clairement indiqué qu’elle entendait se montrer plus sévère que son prédécesseur, Jacques Saint-Laurent, dont la complaisance était devenue légendaire. Il était écrit dans le ciel que le premier à lui tomber dans les pattes passerait un mauvais quart d’heure.
Il est vrai que le manque de transparence entourant les dépenses des députés ne peut qu’alimenter les soupçons d’abus, mais M. Paradis a toutes les raisons de se demander en quoi il est plus fautif que bon nombre de ses collègues.
Tous ceux qui représentent une circonscription située en dehors de la région de Québec ont droit à une allocation de logement, qui s’élève présentement à 1500 $ par mois, que ce soit pour louer une chambre d’hôtel ou un logement, ou encore acheter un appartement.
Pendant trois ans. M. Paradis a utilisé son allocation pour louer un appartement où logeaient également sa fille et son gendre, même si leurs noms n’apparaissaient pas sur le bail. Quand ils ont acheté un appartement, il leur a versé son allocation à titre de loyer, qu’ils utilisaient pour payer l’hypothèque.
Ce faisant, « le député n’a pas fait preuve de droiture, de sagesse, d’honnêteté, de sincérité, de justice et de rigueur », a jugé la commissaire à l’éthique, ajoutant que cette « utilisation irrégulière » des fonds publics n’était pas de nature à susciter la confiance de la population envers les membres de l’Assemblée nationale.
Après avoir reproché sa mollesse à Jacques Saint-Laurent, va-t-on maintenant accuser sa successeure d’être trop sévère ? Même si les conditions d’utilisation de l’allocation de logement sont imprécises, l’article 16 du code d’éthique interdit clairement à un député d’« agir ou omettre d’agir de façon à favoriser ses intérêts personnels, ceux d’un membre de sa famille immédiate ou ceux d’un de ses enfants non à charge ».
On peut difficilement nier que la fille de M. Paradis a trouvé avantage à cet arrangement, mais combien d’enfants de députés ont-ils hérité de l’appartement ou du fruit de la vente d’un logement que leur père ou leur mère avait acheté grâce à leur allocation de logement et revendu avec profit, comme c’est fréquemment le cas ?
Quand le rapport de la commissaire à l’éthique sera soumis au vote de l’Assemblée nationale, bien des collègues de M. Paradis vont se sentir très mal à l’aise.
Dans l’esprit de plusieurs, les avantages consentis aux députés constituent une sorte de compensation pour l’insuffisance de leur salaire. À compter du 1er janvier 2019, l’imposition par le gouvernement fédéral d’une indemnité qui était jusqu’à présent non imposable se traduira par une diminution allant de 5500 $ à 10 000 $.
Un jour ou l’autre, il faudra bien tenir ce débat sans cesse reporté.