Le Devoir

Jour de la marmotte

Comme une vieille chanson dont tout le monde aurait oublié les paroles, voilà que la privatisat­ion de la Société des alcools refait surface. Qu’on en reparle, pourquoi pas, mais qu’on se rappelle au moins les raisons qui ont conduit à l’abandon répété de

- JEANROBERT SANSFAÇON

Il y a 35 ans, le ministre de l’Industrie du gouverneme­nt Lévesque, Rodrigue Biron, annonçait la mise en vente de plus d’une centaine de succursale­s de la SAQ à des coopérativ­es privées dans le but d’en tirer quelques dizaines de millions. Dix années plus tard, un juge ordonnait qu’on indemnise les groupes ayant répondu à l’appel d’offres puisque les libéraux revenus au pouvoir avaient mis fin à cette opération vouée à l’échec. Les raisons de cet échec : d’abord, l’opposition acharnée des employés syndiqués, ensuite et surtout le peu d’appétit du privé pour les succursale­s moins rentables, que la SAQ aurait dû conserver.

Qu’à cela ne tienne, l’idée de privatiser la SAQ en totalité ou en partie refait surface sous divers prétextes tous les cinq ans en moyenne.

À quelques mois des élections, la CAQ est revenue à la charge sur ce sujet qui lui est cher, ce qui a incité les libéraux à commander une étude sommaire sur l’avenir de la SAQ, dont les conclusion­s devraient être connues à la fin de l’été.

Le nerf de la guerre, on le devine, ce sont les profits. Des 3 milliards de ventes qu’elle enregistre en une année, la SAQ verse le tiers en dividendes à l’État, sans compter les taxes qui totalisent un autre milliard partagé entre Québec (600 millions) et Ottawa.

En privatisan­t la SAQ, Québec se priverait donc d’un milliard de revenus nets par année, à moins d’imposer une taxe supplément­aire équivalent­e sur les produits désormais vendus par les dépanneurs, les grandes chaînes d’alimentati­on ou un nouveau monopole privé.

Cela n’est pas impossible, mais quels seraient les avantages d’agir ainsi ? Les défenseurs de la privatisat­ion parlent d’une plus grande variété de produits que les 13 500 offerts par la SAQ. À l’échelle de tout le territoire, peut-être, mais certaineme­nt pas à l’échelle de chaque ville du Québec, puisque la rentabilit­é des Couche-Tard, Costco, Walmart ou Metro passe désormais par la réduction des stocks et de la variété, non pas l’inverse.

De deux choses l’une, ou le monopole public est remplacé par une ou quelques chaînes privées et on ne peut pas s’attendre à plus de variétés ; ou il est remplacé par une multitude de petits commerces et l’offre améliorée est réservée aux zones densément peuplées, comme Montréal.

Par ailleurs, il est difficile d’imaginer que l’État puisse retirer la pleine valeur que représente l’actuel monopole. Encore là, de deux choses l’une : ou le monopole est vendu tel quel, centres de distributi­on, succursale­s, employés, etc., pour un prix astronomiq­ue qu’aucune société privée n’est prête à payer à moins d’être assurée d’un monopole à son tour ; ou la SAQ est scindée en plusieurs entités concurrent­es, et la somme totale tirée de l’opération est bien en deçà de la valeur actuelle de la SAQ pour les contribuab­les.

Un politicien a déjà proposé de céder l’entreprise à la valeur de ses actifs, qui étaient de 779 millions en 2016. Un prix de liquidatio­n, sans jeu de mots, puisque la société génère beaucoup plus de profits en une seule année. Parlons plutôt d’un prix de vente d’au moins dix à quinze années de profits prévisible­s, soit entre 10 et 15 milliards. Qui serait prêt à payer cette somme sans avoir le monopole tout en s’engageant à respecter les convention­s collective­s des employés et à offrir le service partout au Québec ? Il faudrait donc couper la poire en quartiers pour trouver un acheteur. Mais alors, cela ne vaudrait plus le coup pour les contribuab­les. L’option la plus réaliste réside sans doute dans la modernisat­ion continue des pratiques de la SAQ, tant au chapitre des ventes que de la productivi­té de l’organisati­on, afin d’aller au-devant des attentes des consommate­urs et d’améliorer la rentabilit­é pour les contribuab­les.

Déjà est-il possible de commander des produits spécialisé­s en passant par un importateu­r indépendan­t, ce qui est aussi le cas des restaurant­s. Peuton aller plus loin en autorisant l’ouverture de boutiques spécialisé­es indépendan­tes, concurrent­es des succursale­s de la SAQ ?

La SAQ nous appartient collective­ment et elle rapporte beaucoup. Rien ne justifie d’en faire cadeau à des investisse­urs privés.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada