Le Devoir

La chanson française bien faite a une nouvelle égérie, Juliette Armanet, en spectacle ici jeudi

La chanson française bien faite a une nouvelle égérie, qui vient ici jeudi nous rappeler comment elle se construit

- SYLVAIN CORMIER Juliette Armanet À L’Astral, jeudi 14 juin à 19 h 30, dans la série «Tout en chanson»; Gaël Faure en première partie.

C’était fin avril. Françoise Hardy, au bout du fil transatlan­tique à l’occasion de la sortie de son album Personne d’autre, me parlait structure de chanson, de son ravissemen­t renouvelé chaque fois qu’elle découvrait une ballade bien faite. Et elle m’a servi Juliette Armanet en exemple. « Elle s’inscrit dans cette tradition. Juliette, elle a ce savoir-faire, c’est une véritable créatrice, une vraie parolière, une vraie musicienne, une vraie pianiste. Elle pourrait être la fille de Michel Berger et de Véronique Sanson, vous savez. » Et Françoise Hardy d’en rajouter, rajouter, rajouter, pendant cinq bonnes minutes. «J’adore ses chansons. Elle a un talent fou. »

Cinq semaines plus tard, je relaie des extraits du verbatim à la Juliette Armanet en question. Laquelle étouffe un petit rire gêné… mais pas trop. « Elle est absolument adorable de dire tout ça… C’est vrai qu’on a en commun, elle et moi, cet amour pour la notion de ballade, pour la mélancolie, et, comme elle, ça me fait du bien de chanter les amours malheureus­es. Nous avons la même maladie, je crois ! » Et Juliette rit de bon coeur. «J’écris des chansons instinctiv­ement, avec un certain sens de la structure qui me vient forcément de celles et ceux que j’ai aimés : oui, Véronique Sanson, Michel Berger, William Sheller, Barbara, Alain Souchon, Françoise. Je sais que ça me plaît de rentrer dans ce moule un peu classique, et de chercher à trouver ma liberté là-dedans. »

Un canevas pour s’amuser

Chose certaine, le public de tous âges, la critique de toutes allégeance­s — éloge dans Les Inrocks autant que dans Le Figaro —, les gens du métier et les artistes sont d’accord : ils ont trouvé en elle la réponse à un souhait. Juliette Armanet correspond à une certaine idée de la chanson française. Une garantie de qualité dans la confection chansonniè­re. « Je m’amuse, relativise-t-elle. Je fais mes chansons comme un auteur peut aimer la tragédie avec unité de temps, de lieu et d’action ; moi, je me suis dit pourquoi pas couplet-refrain-pont, et puis voilà. À partir de ce canevas, je crois que les possibilit­és sont infinies. »

C’est un cas, Juliette Armanet. Si elle écrit et compose depuis l’adolescenc­e, c’est la journalist­e et la documentar­iste qui se sont frayé un chemin durant sa vingtaine, et c’est par un détour pas très prémédité — le concours Inrocks lab pour les nouvelles scènes, en 2014 — qu’elle tente et réussit un galop d’essai sans grande attente : tout va plutôt vite ensuite, le premier album Petite amie est lancé en avril 2017, bombardé «album révélation de l’année» aux Victoires de la musique, en octobre 2018. De sorte que la voilà chez nous pour les Francos, à la mi-trentaine, toute nouvelle chanteuse et pourtant auteure-compositri­ce-interprète plus qu’aguerrie.

De la chanson au journalism­e, du journalism­e à la chanson

« Je suppose que j’étais prête sans trop l’avoir conscienti­sé. Je ne me sens pas que comme une journalist­e qui chante. Ce n’est pas du tout le même geste. Dans les entrevues, il y a certes un décryptage, je sais comment ça se passe de l’autre côté, mais c’est tout. Le geste d’introspect­ion que suscite la création n’est pas celui du journalist­e qui plonge dans le regard et l’oeuvre de quelqu’un d’autre. Mais je crois que les deux sont nécessaire­s pour un bon équilibre intérieur. Quand on est un peu trop en soimême, on risque un peu de s’y perdre. Je trouve que les choses arrivent pour moi dans la bonne séquence… »

Ça explique peut-être la rigueur dans la forme. Et une manière d’aborder la scène en toute connaissan­ce de cause. «Elle dégage quelque chose », me disait encore Françoise Hardy. «Juliette a une gestuelle très discrète qui est très personnell­e en même temps, et ça, ça m’enchante. » Le fait est que toute la famille chanson est en émoi, et qu’elle multiplie les duos, sur les plateaux de télévision comme en studio : il y a eu Alain Chamfort, et puis Eddy Mitchell (Couleur menthe à l’eau, sur La

même tribu, volume 2); il y aura Christophe et Véro Sanson. « Et quelques artistes de ma génération, aussi », préciset-elle. Il lui arrive, notons-le, d’interpréte­r du Daft Punk et d’adapter The Weeknd. « Il y a de très bonnes chansons récentes, vous savez… » Françoise Hardy a failli en enregistre­r une « très jolie », justement. Signée Juliette Armanet.

Je fais mes chansons comme un auteur peut aimer la tragédie avec unité de temps, de lieu et d’action; moi. je me suis dit pourquoi pas coupletref­rain-pont, et puis voilà. À partir de ce canevas, je crois que les possibilit­és sont infinies. JULIETTE ARMANET

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GUILLAUME SOUVANT AGENCE FRANCE-PRESSE « Juliette a une gestuelle très discrète qui est très personnell­e en même temps, et ça, ça m’enchante », confiait Françoise Hardy.

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