La chanson française bien faite a une nouvelle égérie, Juliette Armanet, en spectacle ici jeudi
La chanson française bien faite a une nouvelle égérie, qui vient ici jeudi nous rappeler comment elle se construit
C’était fin avril. Françoise Hardy, au bout du fil transatlantique à l’occasion de la sortie de son album Personne d’autre, me parlait structure de chanson, de son ravissement renouvelé chaque fois qu’elle découvrait une ballade bien faite. Et elle m’a servi Juliette Armanet en exemple. « Elle s’inscrit dans cette tradition. Juliette, elle a ce savoir-faire, c’est une véritable créatrice, une vraie parolière, une vraie musicienne, une vraie pianiste. Elle pourrait être la fille de Michel Berger et de Véronique Sanson, vous savez. » Et Françoise Hardy d’en rajouter, rajouter, rajouter, pendant cinq bonnes minutes. «J’adore ses chansons. Elle a un talent fou. »
Cinq semaines plus tard, je relaie des extraits du verbatim à la Juliette Armanet en question. Laquelle étouffe un petit rire gêné… mais pas trop. « Elle est absolument adorable de dire tout ça… C’est vrai qu’on a en commun, elle et moi, cet amour pour la notion de ballade, pour la mélancolie, et, comme elle, ça me fait du bien de chanter les amours malheureuses. Nous avons la même maladie, je crois ! » Et Juliette rit de bon coeur. «J’écris des chansons instinctivement, avec un certain sens de la structure qui me vient forcément de celles et ceux que j’ai aimés : oui, Véronique Sanson, Michel Berger, William Sheller, Barbara, Alain Souchon, Françoise. Je sais que ça me plaît de rentrer dans ce moule un peu classique, et de chercher à trouver ma liberté là-dedans. »
Un canevas pour s’amuser
Chose certaine, le public de tous âges, la critique de toutes allégeances — éloge dans Les Inrocks autant que dans Le Figaro —, les gens du métier et les artistes sont d’accord : ils ont trouvé en elle la réponse à un souhait. Juliette Armanet correspond à une certaine idée de la chanson française. Une garantie de qualité dans la confection chansonnière. « Je m’amuse, relativise-t-elle. Je fais mes chansons comme un auteur peut aimer la tragédie avec unité de temps, de lieu et d’action ; moi, je me suis dit pourquoi pas couplet-refrain-pont, et puis voilà. À partir de ce canevas, je crois que les possibilités sont infinies. »
C’est un cas, Juliette Armanet. Si elle écrit et compose depuis l’adolescence, c’est la journaliste et la documentariste qui se sont frayé un chemin durant sa vingtaine, et c’est par un détour pas très prémédité — le concours Inrocks lab pour les nouvelles scènes, en 2014 — qu’elle tente et réussit un galop d’essai sans grande attente : tout va plutôt vite ensuite, le premier album Petite amie est lancé en avril 2017, bombardé «album révélation de l’année» aux Victoires de la musique, en octobre 2018. De sorte que la voilà chez nous pour les Francos, à la mi-trentaine, toute nouvelle chanteuse et pourtant auteure-compositrice-interprète plus qu’aguerrie.
De la chanson au journalisme, du journalisme à la chanson
« Je suppose que j’étais prête sans trop l’avoir conscientisé. Je ne me sens pas que comme une journaliste qui chante. Ce n’est pas du tout le même geste. Dans les entrevues, il y a certes un décryptage, je sais comment ça se passe de l’autre côté, mais c’est tout. Le geste d’introspection que suscite la création n’est pas celui du journaliste qui plonge dans le regard et l’oeuvre de quelqu’un d’autre. Mais je crois que les deux sont nécessaires pour un bon équilibre intérieur. Quand on est un peu trop en soimême, on risque un peu de s’y perdre. Je trouve que les choses arrivent pour moi dans la bonne séquence… »
Ça explique peut-être la rigueur dans la forme. Et une manière d’aborder la scène en toute connaissance de cause. «Elle dégage quelque chose », me disait encore Françoise Hardy. «Juliette a une gestuelle très discrète qui est très personnelle en même temps, et ça, ça m’enchante. » Le fait est que toute la famille chanson est en émoi, et qu’elle multiplie les duos, sur les plateaux de télévision comme en studio : il y a eu Alain Chamfort, et puis Eddy Mitchell (Couleur menthe à l’eau, sur La
même tribu, volume 2); il y aura Christophe et Véro Sanson. « Et quelques artistes de ma génération, aussi », préciset-elle. Il lui arrive, notons-le, d’interpréter du Daft Punk et d’adapter The Weeknd. « Il y a de très bonnes chansons récentes, vous savez… » Françoise Hardy a failli en enregistrer une « très jolie », justement. Signée Juliette Armanet.
Je fais mes chansons comme un auteur peut aimer la tragédie avec unité de temps, de lieu et d’action; moi. je me suis dit pourquoi pas coupletrefrain-pont, et puis voilà. À partir de ce canevas, je crois que les possibilités sont infinies. JULIETTE ARMANET