Le Devoir

La Conférence de Montréal se penche sur l’incertitud­e |

- ÉRIC DESROSIERS

Nous habitons déjà un village global. On ne défera pas cette réalité. Mais cela peut être très positif si on a la discipline de se doter d’une vision collective et que l’on prend en compte l’impact à long terme de nos actions sur tous. IBUKUN AWOSIKA

Le haut degré d’incertitud­e qui règne dans le monde en dépit du retour de la prospérité économique et, peut-être plus encore, le comporteme­nt agressif et déroutant du président américain étaient sur toutes les lèvres, lundi, à l’ouverture de la 24e Conférence de Montréal.

« Incertitud­e », « volatilité », « imprévisib­ilité », « incohérenc­e », « irrational­ité»… Les participan­ts à l’événement — qui se tiendra jusqu’à jeudi dans un hôtel du centre-ville et dont le thème est justement «Une nouvelle mondialisa­tion, gérer l’incertitud­e » — ne manquaient pas de synonymes pour décrire le profond malaise qui plombe la scène économique et politique depuis plusieurs mois. « On a comme une surdose d’incertitud­es actuelleme­nt », s’est exclamé au podium de la conférence le président et chef de la direction du Mouvement Desjardins, Guy Cormier. Tous les mécanismes que le monde a pris des décennies à mettre en place pour permettre un traitement ordonné des problèmes semblent soudaineme­nt remis en cause, a-t-il déploré.

Si tous n’ont pas explicitem­ent nommé Donald Trump comme l’une des causes importante­s de ce grand dérangemen­t, c’était tout comme. « Il est facile de verser dans la nostalgie d’un passé prétendume­nt idéal, mais si l’on offrait la possibilit­é de retourner 10, 20, 30 ans en arrière, je suis convaincu que la plupart des gens refuseraie­nt, a déclaré en matinée Jane Buchan, chef de la direction de la firme d’investisse­ment californie­nne PAAMCO. Nous sommes aujourd’hui dans une nouvelle réalité. Tout ce qu’on peut faire, c’est apprendre à mieux fonctionne­r. »

Ceux qui prêchent la force et l’isolationn­isme font fausse route, a ajouté la présidente de la plus importante banque du Nigeria, Ibukun Awosika. « Nous habitons déjà un village global. On ne défera pas cette réalité. Mais cela peut être très positif, si l’on a la discipline de se doter d’une vision collective et que l’on prend en compte l’impact à long terme de nos actions sur tous. Nous vivons sur une petite planète. Trop petite pour s’adonner à des petits jeux politiques. »

Marché, tu dors

Plusieurs intervenan­ts ont noté comment, paradoxale­ment, les marchés financiers ont peu réagi lundi à la conclusion chaotique du sommet du G7 à La Malbaie où, après s’être montré tout sourire et s’être joint aux six autres dirigeants politiques dans un communiqué final samedi, le président américain a renié l’entente et s’est lancé dans un déferlemen­t d’insultes contre son hôte, Justin Trudeau, aussitôt retourné dans son avion.

« Je crois même que les marchés canadiens ont ouvert légèrement en hausse », a observé Afsaneh Beschloss, chef de la direction de la firme américaine de gestion d’investisse­ments Rock Creek Group. Cependant, on aurait tort, selon elle, de sous-estimer l’impact économique que pourraient avoir ne seraitce que les tarifs douaniers du gouverneme­nt Trump dans l’acier et l’aluminium. Il est vrai que ces secteurs ont un poids relativeme­nt faible dans l’ensemble de l’économie. Mais ils peuvent tout de même infliger des dommages importants dans les régions où ils sont concentrés, surtout dans un contexte où d’autres facteurs problémati­ques sont susceptibl­es de s’ajouter.

C’est qu’une guerre commercial­e n’est pas la seule menace qui plane sur l’économie mondiale et que les marchés semblent actuelleme­nt sous-estimer, a prévenu la banquière d’affaires. Il y a notamment l’impact de la poursuite de la hausse des taux d’intérêt par les banques centrales dans un contexte de fort endettemen­t de plusieurs pays et de plus d’entreprise­s encore. Il y a aussi la menace de fraudes et d’attaques Internet aussi bien contre les simples particulie­rs que contre des nations tout entières. « C’est la menace que je craindrais le plus et contre laquelle on ne dispose pas de solution claire », a confié Afsaneh Beschloss.

Ovation pour l’homme à lunettes

Le moment qui a peut-être le mieux illustré le sentiment général de désarroi et d’inquiétude des participan­ts à la Conférence de Montréal devant les agissement­s du président Trump est survenu lors du discours d’un fonctionna­ire américain à lunettes. L’homme n’a pourtant pas dit un mot contre le chef de la Maison-Blanche et s’est plutôt appliqué à raconter l’histoire d’un héros de la révolution américaine, à rappeler les principes fondateurs du droit américain et à emprunter toutes sortes de citations à gauche et à droite. Notre bien modeste orateur s’est néanmoins valu une rare ovation.

Il faut dire que le fonctionna­ire en question est Rod Rosenstein, le procureur général des États-Unis qui supervise — envers et contre l’opposition de plus en plus explicite et agressive de Donald Trump — l’enquête du procureur spécial Robert Mueller sur une éventuelle collusion entre son ancienne équipe de campagne et la Russie.

«Votre pays est chanceux de vous avoir », l’a salué le principal commandita­ire de la Conférence et chef de Power Corporatio­n, Paul Desmarais fils.

 ?? RICCARDO SAVI GETTY IMAGES AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Afsaneh Beschloss, chef de la direction de la firme américaine de gestion d’investisse­ments Rock Creek Group. On aurait tort, selon elle, de sous-estimer l’effet économique que pourraient avoir ne serait-ce que les tarifs du gouverneme­nt Trump sur les importatio­ns d’acier et d’aluminium.
RICCARDO SAVI GETTY IMAGES AGENCE FRANCE-PRESSE Afsaneh Beschloss, chef de la direction de la firme américaine de gestion d’investisse­ments Rock Creek Group. On aurait tort, selon elle, de sous-estimer l’effet économique que pourraient avoir ne serait-ce que les tarifs du gouverneme­nt Trump sur les importatio­ns d’acier et d’aluminium.

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