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Rappelons que, malgré sa vitalité artistique exceptionnelle, notre société possède des racines fragiles en la matière. Dans ses rangs, une suspicion envers tout ce qui peut sembler élitiste, dont la culture générale (mais en quoi ça va me donner une job ?) sous haut taux d’analphabétisme, ajoute aux préjugés ambiants.
Dire que la politique culturelle du Québec avec plan d’action 2018-2023 était attendue par un milieu piaffant d’impatience relève de l’euphémisme. Son interminable gestation aura suscité des attentes démesurées parmi la faune des arts et des lettres. Pensez donc ! La dernière politique du genre date de 1992, sous Liza Frulla ; temps bibliques face aux mutations numériques venues tout chambouler.
En attelant à sa charrue trois ministres successifs de la Culture et des Communications, Hélène David, Luc Fortin et Marie Montpetit, Philippe Couillard aura pourtant retardé le dévoilement de cette politique, par délais suscités.
D’où, mardi, ce lancement de la onzième heure. Juste avant des vacances d’été, précédant la frénésie d’une campagne électorale. Le premier ministre a beau pourfendre les partis d’opposition qui l’accusent d’opportunisme politique et taxent cette politique de promesse électorale, il a prêté le flanc à ces critiques.
Advenant la victoire de la CAQ à l’automne, qu’adviendra-t-il d’une politique qui commande l’engagement à long terme ? Moderniser les lois sur le statut de l’artiste et leur offrir des conditions de travail décentes, revoir la formation des créateurs en perfectionnement continu, prendre d’aplomb le virage numérique ne se fera pas en criant lapin. Pousser la fréquentation des oeuvres nationales en région, à l’école et partout nécessite un engagement de longue haleine. Le principal danger qui menace cette politique est d’atterrir sur une tablette.
Or, elle regorge d’excellentes pistes, et l’heureuse implication de 34 ministères et organismes s’en veut le garant. Osons le voeu qu’advenant la victoire d’un autre parti, la CAQ pour ne pas la nommer, son chef n’en déchire pas le libellé en sifflotant. Après tout, la politique culturelle de la libérale Liza Frulla avait survécu à différents règnes, dont ceux du PQ. Privilégier des orientations non partisanes au nom du bien commun serait faire preuve de sagesse. Rêvons un peu.
Avec montant historique de 600,9 millions sur cinq ans, alloué à sa cause, et cette nouvelle alliance culture-éducation-famille, réclamée par tous, bien en vue, ce plan d’action dynamique ratisse large.
Il n’est pas dit que les 30,5 millions prévus seront suffisants pour s’atteler aux tâches titanesques d’initier des élèves à des formations artistiques non représentées jusqu’ici, comme le cinéma, de sensibiliser familles, milieux scolaires et organismes de la petite enfance aux bienfaits de la culture, d’enrichir la formation des enseignants, et autres mesures d’arrimage d’urgence, mais c’est déjà un pas en avant. D’autant plus que le soutien aux activités culturelles dans le parcours éducatif hérite de 35 millions additionnels.
On n’est pas contre la vertu : 50,2 millions supplémentaires seront accordés à la SODEC (Société de développement des entreprises culturelles), qui en a bien besoin. La volonté d’encourager la pratique du loisir culturel et d’utiliser aussi l’art comme outil d’intervention sociale ne peut apporter que du bon. Augmenter l’implication des femmes, des autochtones et des nouveaux arrivants tout autant.
Divertissement ou ancrage ?
Rappelons que, malgré sa vitalité artistique exceptionnelle, notre société possède des racines fragiles en la matière. Dans ses rangs, une suspicion envers tout ce qui peut sembler élitiste, dont la culture générale (mais en quoi ça va me donner une job ?) sous haut taux d’analphabétisme, ajoute aux préjugés ambiants.
En matière de rapport à la culture, l’événementiel prime l’ancrage artistique dans le quotidien des Québécois. Or, le divertissement semble beaucoup à l’honneur dans cette politique. Secteur capital, il est vrai, pour une société enfantant tant de festivals et de spectacles multimédias, où le cirque, les jeux vidéo et l’humour prospèrent, aimants touristiques et rassembleurs à ne pas négliger.
Il reste que sur le terrain, l’humour occupe une portion démesurée parmi les arts de la scène, les salles de cinéma se vident hors des productions événements, la fréquentation littéraire se heurte aux mille écrans d’un temps de lecture fragmenté. Les musées atterrissent dans ce plan d’action à l’avant-plan, mais la musique, mise à mal par les nouvelles plateformes de diffusion, gagnerait à recevoir des aides substantielles.
Accent est mis sur la vie culturelle en français. Nos artistes ont intérêt à rencontrer un public sur leur propre sol, en ville comme en région, et dans leur langue, bien entendu. Il reste que la culture n’est pas que nationale, mais accrochée au tronc commun de l’histoire de l’art mondiale comme de ses ramifications étrangères contemporaines, que les nouvelles générations gagneraient à mieux connaître pour aiguiser leur rapport au monde. Cette perspective d’ouverture hors de son propre giron est-il pleinement encouragée ? On ose un doute, tout en souhaitant à l’ensemble de la politique de beaux jours devant elle… si d’autres volontés politiques à l’automne n’ont pas la disgrâce de la pilonner.