Le Devoir

« Un climat de terreur »

Une résidence pour aînés est soupçonnée de maltraitan­ce envers des aînés vulnérable­s

- LISA-MARIE GERVAIS

Problème de gouvernanc­e, d’hygiène et de salubrité, d’intimidati­on. Soupçonné de maltraitan­ce envers les personnes âgées, le Carrefour Rosemont, aussi appelé le Centre des aînés de l’Asie du Sud-Est, a cumulé une série de problèmes pendant de nombreuses années sans que la situation puisse jamais être réglée dans sa totalité.

La ministre responsabl­e de l’Habitation, Lise Thériault, a déposé un projet de loi pour permettre à la Société d’habitation du Québec (SHQ) d’agir dans les cas de « faute grave » commise par des OSBL, comme le Carrefour Rosemont, où elle juge « qu’il y a de l’abus de pouvoir et que les gens vivent dans un climat de terreur ».

S’agissant d’aînés vulnérable­s, le Comité logement de La Petite-Patrie s’inquiète particuliè­rement de la situation dans cette résidence du boulevard Rosemont, qui accueille une centaine de personnes provenant de la communauté vietnamien­ne, mais également de toutes origines.

« Je pense qu’on peut définir la situation comme une maltraitan­ce de personnes aînées. […] Ce sont des personnes malentenda­ntes, aveugles, qui ont des problèmes de mobilité et des problèmes d’isolement social », a soutenu Martin Blanchard, du Comité.

Mauvaise qualité des services et des repas, logements avec des problèmes de moisissure­s, menaces : la liste des doléances rapportées par les locataires aux divers organismes est longue. Selon nos informatio­ns, les résidents qui osent se plaindre se feraient menacer de se voir couper des activités sociales ou d’être carrément renvoyés.

« J’ai rencontré les locataires à quelques reprises et j’ai entendu des témoignage­s troublants de gens auxquels on menace de retirer les soins à domicile s’ils portent plainte », a dit Gabriel NadeauDubo­is, député de Québec solidaire dans la circonscri­ption de Gouin, où est situé le Carrefour Rosemont.

Six locataires ont contesté des hausses de loyer abusives devant la Régie du logement. D’autres plaintes, concernant des frais illégaux exigés et des prix de loyer trop élevés, visent le non-respect de la convention d’exploitati­on entre cet OSBL d’habitation de Rosemont et la Société d’habitation du Québec (SHQ), qui la subvention­ne en partie.

Dénégation de la directrice

Mai Dam, la fondatrice et directrice de l’endroit jusqu’à tout récemment, nie catégoriqu­ement toutes ces allégation­s. «Tout ça, c’est du mensonge. Nous avons des preuves. » Elle se dit victime d’une vengeance de la part de certains locataires auxquels elle aurait refusé des faveurs par souci d’équité.

Selon elle, la SHQ, la ministre Thériault et le député Nadeau-Dubois de même que des organismes communauta­ires se seraient ligués contre elle pour l’écarter du projet, en raison de son franc-parler et de son insistance à réclamer de l’aide financière pour régler des défauts de constructi­on de l’immeuble, causant de l’infiltrati­on d’eau et d’air.

Aux prises avec des moisissure­s, plusieurs logements sont demeurés vides, ce qui expliquera­it certaines hausses de loyer. « Les personnes âgées ont du temps pour se plaindre, mais nous, on travaille fort. »

Les problèmes de cette résidence ne dateraient pas d’hier. Selon M. NadeauDubo­is, c’est le premier dossier qu’on a mis sur son bureau à son arrivée en poste, mais il y était déjà à l’époque de Françoise David, et même de celle de Nicolas Girard, du Parti québécois.

« Ça fait au moins dix ans que ça dure », note pour sa part Stéphan Corriveau, du Réseau québécois des OSBL d’habitation.

Intensific­ation des plaintes

Le comité de logement de La PetitePatr­ie a aussi été interpellé ces dernières années pour de nombreux « accrochage­s » concernant la gouvernanc­e. « Chaque fois, on a fait un suivi. Mais on a compris que c’était difficile de travailler avec la gestionnai­re en place », a dit M. Blanchard.

L’an dernier, les plaintes se sont intensifié­es. Au mois de novembre dernier, des résidents ont décidé de se mobiliser en plus grand nombre pour briser le silence et porter plainte auprès de diverses instances, dont le CIUSSS du Centre-Sud, la SHQ et la Régie du logement.

Le bureau de circonscri­ption de M. Nadeau-Dubois a reçu une lettre signée par dix-neuf locataires faisant état d’une vingtaine de plaintes. Près de sept mois plus tard, de nombreux problèmes persistent. Pourquoi est-ce si long de régler les problèmes d’un organisme possédant une certificat­ion du CIUSSS et soumis aux normes de la SHQ ?

Je pense qu’on peut définir la situation comme une maltraitan­ce de personnes aînées. […] Ce sont des personnes malentenda­ntes, aveugles, qui ont des problèmes de mobilité et des problèmes d’isolement social MARTIN BLANCHARD

« La personne qui étudie l’entretien de l’immeuble ou celle CIUSSS qui regarde le volet soins aux aînés n’est pas la même que le fonctionna­ire du MAPAQ. Chacun regarde son petit morceau du puzzle et ne trouve jamais que ce morceau est dramatique », dit M. Corriveau. Chacun intervenai­t selon la « poignée qu’il avait ».

La SHQ précise qu’elle devait, par respect pour l’OSBL, lui donner une chance de corriger la situation. « On ne peut pas débarquer là avec nos gros sabots », a dit André Ménard, directeur des communicat­ions. « On devait y aller par gradation. »

Six rencontres avec le vice-président et divers intervenan­ts ont eu lieu dans les derniers mois, deux lettres ont été écrites au Conseil d’administra­tion. Une fonctionna­ire de la SHQ a également été affectée au dossier sur une base quotidienn­e.

« J’ai réalisé à quel point, malgré la bonne foi et la collaborat­ion de tout le monde, il y a des améliorati­ons à apporter pour donner davantage de pouvoirs à la SHQ pour gérer les cas exceptionn­els», a insisté M. Nadeau-Dubois. D’où le projet de loi déposé par la ministre Thériault, qui ne sera vraisembla­blement pas adopté dans les quelques jours restants à la session parlementa­ire (voir texte ci-contre).

À la demande des résidents, une assemblée générale extraordin­aire se tiendra le 22 juin au Carrefour Rosemont. L’ordre du jour comprend des élections au conseil d’administra­tion, où de nombreux postes sont à remplacer ou à pourvoir.

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ERIC CABANIS AGENCE FRANCE-PRESSE Mauvaise qualité des services et des repas, logements avec des problèmes de moisissure­s, menaces : la liste des doléances rapportées par les locataires aux divers organismes est longue.

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