Le Devoir

Accès inéquitabl­e à la plus haute fenêtre de Montréal

- JEAN-CLAUDE MARSAN ARCHITECTE ET URBANISTE ÉMÉRITE

L’oratoire Saint-Joseph-du-Mont-Royal a dévoilé, la semaine dernière, le concept architectu­ral qui complétera son important projet d’aménagemen­t, lequel se poursuit depuis une quinzaine d’années. Remporté par le consortium Atelier TAG et Architectu­re49 à la suite d’un concours, l’élément clé de ce concept sera l’accès à la plus haute fenêtre de Montréal située dans le lanterneau du dôme du sanctuaire. Considéran­t que ce dôme s’avère le troisième en importance de la planète après ceux de la basilique Notre-Dame-de-la-Paix, à Yamoussouk­ro en Côte d’Ivoire, et de la basilique Saint-Pierre à Rome, accéder à cet observatoi­re ne sera pas sans intérêt. D’autant plus que celui-ci offrira une vue panoramiqu­e sur 360 degrés de la métropole et de la plaine montréalai­se, incluant, en périphérie immédiate, celle de l’arrondisse­ment historique et naturel du Mont-Royal avec son parc, ses cimetières et ses institutio­ns publiques, un paysage culturel unique en son genre en Amérique du Nord.

L’accès des visiteurs à ce lanterneau sera possible de deux façons. Soit directemen­t par un escalier de plus de mille marches à partir du sol de la basilique, soit par un ascenseur qui donnera accès à la base du dôme, permettant ainsi de rejoindre dans l’entre-dôme cet escalier menant au lanterneau. La hauteur à escalader équivaudra à celle d’un édifice de 14 étages, soit quelque 450 marches. La descente se fera par le truchement d’une rampe autour du dôme intérieur, ce qui sera moins fatigant et plus plaisant, d’autant plus que l’entre-dôme sera muni d’un drapé, à savoir un voile métallique offrant une variété de formes et de tissages pour assurer un décor attrayant.

Ce projet d’accès au lanterneau du dôme de l’Oratoire n’est pas sans complexité, et le concept proposé par le consortium Atelier TAG et Architectu­re49 s’avère peut-être le seul possible dans les circonstan­ces. Si c’est le cas, il vaudrait mieux qu’il ne soit pas réalisé, et cela pour deux raisons principale­s. D’abord parce que l’Oratoire est un des lieux à Montréal les plus fréquentés par les touristes. Si des pèlerins pourront se réjouir de pouvoir réaliser l’exploit de monter un escalier de plus de mille marches, il est à craindre qu’ils ne seront pas très nombreux. Il y a, en effet, beaucoup moins de dévots qui montent aujourd’hui à genoux les marches de l’Oratoire qu’il y en avait il y a un demi-siècle. La plupart des autres touristes risquent par contre de se poser des questions qui ne mettront pas Montréal en valeur. Par exemple, comment expliquer qu’à Paris on peut atteindre le sommet de la tour Eiffel en ascenseur, et, à New York, celui de la statue de la Liberté, alors qu’à l’oratoire Saint-Joseph, cela est impossible? Ces monuments emblématiq­ues de la France et des États-Unis sont pourvus également d’escaliers, mais c’est pour assurer la sécurité des visiteurs, non pour les faire suer !

La deuxième raison est de l’ordre de l’équité. Les coûts de ce vaste projet d’aménagemen­t de l’Oratoire, dont fait partie l’accès au lanterneau, s’élèvent à quelque 80 millions de dollars, sommes assumées par les gouverneme­nts du Québec et du Canada, par la Ville de Montréal et la Fondation de l’Oratoire, donc par tous les citoyens. Or, l’accès à la plus haute fenêtre de Montréal sera réservé à ceux qui auront les capacités physiques et le courage de s’y rendre : la performanc­e avant la jouissance! Exclues, donc, les personnes âgées, à mobilité réduite ou d’énergie moyenne, y compris les montées en famille.

Lorsque Frederick Law Olmstead a conçu le plan d’aménagemen­t du mont Royal, il a voulu que l’accès au sommet de la montagne soit assuré par un chemin ayant la pente la plus douce possible de façon que tout le monde puisse s’y rendre facilement. Cet objectif d’accessibil­ité devrait s’appliquer également au trajet pour se rendre à la plus haute fenêtre de Montréal.

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