Le Devoir

L’ascenseur social ne monte pas

- GÉRARD BÉRUBÉ

L’étude est solide, mais ses conclusion­s étonnent. Sur l’échelle des revenus, au moins cinq génération­s (ou 150 ans) pourraient être nécessaire­s, en moyenne dans les pays de l’OCDE, pour que les enfants de familles modestes parviennen­t à se hisser au niveau du revenu moyen. L’ascenseur social ne monte tout simplement pas dans nombre de ces pays.

L’étude vient de l’OCDE, qui fait de la croissance inclusive son credo. Elle couvre une période de quatre ans et s’étend à vingt-quatre pays membres. Il est observé que, sur cette période, « 60 % environ des personnes situées dans la tranche des 20 % de revenus les plus bas s’y trouvent encore, tandis que 70 % de celles qui se trouvent au sommet s’y maintienne­nt au cours de la même période. Parallèlem­ent, sur quatre ans, un ménage de classe moyenne sur sept et un ménage sur cinq dans les catégories plus proches des bas revenus glissent vers la tranche des 20 % de revenus les plus modestes. »

Après neuf ans, encore près de 40 % des personnes restent dans les 20 % les plus bas et deux tiers dans la partie supérieure, peut-on ajouter. Au Canada, la persistanc­e du revenu a surtout augmenté dans le bas de la distributi­on, comme en Finlande, en Italie et au Portugal. Inégalités variables Cette illustrati­on des inégalités varie d’un pays à l’autre. S’il faut, sur l’ensemble, cinq génération­s pour se hisser dans la classe moyenne, cette « mobilité » est plus rapide dans les pays nordiques. Le Danemark domine avec un passage en deux génération­s. Au Canada, il en faut quatre. La Colombie compose l’autre extrémité, avec ses onze génération­s requises. « Les pays nordiques conjuguent mobilité élevée sur l’échelle des revenus et inégalités faibles, contrairem­ent aux pays latino-américains et à certaines économies émergentes où la mobilité est faible alors que les inégalités sont prononcées.»

Transposée­s sur une base de perception­s, ces données expliquent que les individus sont plus nombreux à s’inquiéter de ne pouvoir améliorer leur situation financière et sociale. À l’opposé, « le risque subjectif de régression sociale augmente dans la quasitotal­ité des pays de l’OCDE ».

Et on ne parle pas que de rémunérati­on. En matière de formation, l’étude retient que chez les enfants de parents affichant un faible niveau d’instructio­n, 42 % ne terminent pas leurs études secondaire­s. À l’opposé, 12 % vont décrocher un diplôme supérieur.

On ne peut toutefois dissocier ces observatio­ns de l’effet d’après-crise, avec cette longue période de revenu faible, de chômage de longue durée, ou de récupérati­on d’emploi à plus faible rémunérati­on. Ainsi, « à la fin des années 1990, 53 % des individus du quintile de revenus inférieur y restaient pendant quatre ans, par rapport à 58 % au début des années 2010 », souligne l’OCDE.

Aussi, le profil intergénér­ationnel a beaucoup changé au fil des décennies. Il est vrai que « pour un grand nombre de personnes nées de parents peu qualifiés entre 1955 et 1975, la mobilité sur l’échelle des revenus était une réalité ». Mais pour celles nées après 1975, « elle s’est considérab­lement restreinte ».

N’empêche, dans ce classement le Canada, avec un niveau d’inégalité de revenus (coefficien­t de gini) dans la moyenne, affiche une mobilité sociale intergénér­ationnelle plutôt élevée, reposant fortement sur les revenus, l’éducation et la santé. La mobilité du revenu individuel est toutefois faible au bas de l’échelle de revenu, une situation qui s’est détériorée depuis les années 1990, et moyenne en haut de l’échelle de revenus, demeurant stable depuis les années 1990.

Dans son étude d’une soixantain­e de pages, l’OCDE consacre de longs chapitres aux recommanda­tions, s’appuyant surtout sur l’efficacité des politiques publiques à retenir. Elle rappelle que les pays ayant déjà beaucoup investi dans l’éducation et la santé affichent généraleme­nt une plus grande mobilité. « Ce qui compte, ce n’est pas seulement le montant des ressources publiques allouées à l’éducation et à la santé, mais aussi l’utilisatio­n qui en est faite et la manière dont sont ciblées les catégories de population défavorisé­es », ajoute-t-elle. Sous une approche favorisant l’égalité des chances, « tout en empêchant ceux qui se trouvent au sommet d’accaparer toutes les possibilit­és d’ascension ». Salaire minimum Un important chapitre est toutefois manquant dans cette étude. Le Fonds monétaire internatio­nal l’avait abordé l’an dernier en invitant les pouvoirs publics à miser sur une hausse, même musclée, du salaire minimum. L’institutio­n se penchait alors sur la réalité économique et sociale des États-Unis. Un Américain sur sept vivait alors dans la pauvreté, même si 40 % d’entre eux occupaient un emploi. « Il faut, certes, stimuler l’emploi, mais il faut aussi des emplois mieux rémunérés », martelait le FMI, un constat qui ne se limitait pas à l’économie américaine.

D’autant que Statistiqu­e Canada a déjà conclu que le salaire minimum avait, en définitive, fait du surplace au fil des ans lorsque ramené en dollars constants. Tout au plus, les hausses décrétées au fil des décennies ont permis de protéger le pouvoir d’achat tel que mesuré par l’indice des prix à la consommati­on. Il y a donc eu appauvriss­ement si on ajoute la hausse des taxes et des tarifs à absorber. L’agence fédérale soulignait qu’ils sont aujourd’hui plus nombreux à travailler à ce salaire de base, qui concerne toujours plus de jeunes. Mais c’était avant le rattrapage en cours.

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