Le Devoir

Déraison et sentiments

L’exubérant Quand l’amour se creuse un trou affiche la même soif d’absolu que son jeune héros

- FRANÇOIS LÉVESQUE LE DEVOIR

Miron a 17 ans. Il en aura 18 dans deux mois. Il a beau avoir la vie devant lui, ses parents s’inquiètent de le voir gâcher son avenir à coups de pilules, de farniente et de petite délinquanc­e. Jugeant qu’il y a grands maux et donc que sont requis de grands remèdes, voici Thérèse et David, les adultes aux abois, qui quittent la métropole pour l’été, leur progénitur­e catastroph­ée à leur suite. Direction: la campagne. Entre en scène Florence, une voisine excentriqu­e au charme irrésistib­le. Et l’amitié entre elle et Miron de se transforme­r en amour véritable. Et maman et papa de pousser les hauts cris. Un détail : Florence a 72 ans. Premier long métrage d’Ara Ball, qui signe réalisatio­n, scénario et montage sur microbudge­t, Quand l’amour se creuse un trou exsude la même exubérance que son jeune héros.

On le comprend d’entrée de jeu, et le cinéaste l’a confirmé en entrevue, l’hommage au film Harold et Maude, de Hal Ashby, vaut non seulement pour la prémisse, mais pour le ton. Ainsi l’action de Quand l’amour se creuse un trou, campée en 1995, se déroule-t-elle dans une réalité à la fois satirisée et amplifiée. Cela, tant dans le verbe, volontiers fleuri, qu’à l’image, stylisée. Elle privilégie la perception de Miron, un être entier s’il en est.

Révélateur­s positifs

Miron ressent, et c’est l’un des plus merveilleu­x malheurs de son âge, chaque événement, chaque expérience, de manière intense, voire exacerbée. C’est patent dans son conflit génération­nel avec ses parents autant que dans sa relation passionnée avec Florence.

Florence qui, à son contact, renoue avec une part d’elle-même, une fougue qu’elle avait mise de côté au gré d’une vie d’épouse et de mère. Leur histoire émeut entre autres grâce à cela, grâce à cette manière qu’a Ara Ball de suggérer que les amoureux improbable­s agissent comme des révélateur­s positifs l’un pour l’autre.

Cette dynamique du dévoilemen­t vaut également pour les parents de Miron, avec ce père doublement ébranlé, et donc prompt à contreatta­quer, du fait que son propre couple traditionn­el est en crise alors que son fils est en pleine félicité au sein d’une union «contre nature». Laquelle apparaît dans le contexte parfaiteme­nt crédible. Le doigté et la sensibilit­é déployés par Ara Ball y est pour quelque chose, mais c’est d’abord imputable au jeu sincère et complice de Robert Naylor (10 1/2, 1:54), aussi compositeu­r, et de France Castel (Une histoire inventée, Karmina, Je me souviens), qu’on retrouve avec bonheur dans un premier rôle.

Impétueux et vivifiant

Si Julie Le Breton et Patrice Robitaille se révèlent sans surprise délicieux en parents aux prises avec un surplus cérébral et un déficit émotionnel, le cinéaste aurait néanmoins gagné à maintenir sa focalisati­on rivée au point de vue de son protagonis­te (comme Ashby s’arrimait presque exclusivem­ent à celui d’Harold). En effet, dans ses moments où l’on délaisse le regard de Miron, le côté décalé du film devient moins organique sans le jeune homme pour le justifier.

Les dialogues existentia­listes sont en outre abondants, peut-être surécrits, se dit-on initialeme­nt. Puis l’on s’y fait, acceptant la convention, acceptant que ce soit là partie intégrante de ce qu’est Miron, et donc, de ce qu’est le film.

Car, on l’a évoqué, Quand l’amour se creuse un trou est à l’image de son héros, de la jeunesse de ce dernier: impétueux puisqu’assoiffé de liberté, un peu brouillon à cause de cela, mais toujours vivifiant pour cette même raison.

Parce que parfois, trop, c’est juste assez.

Quand l’amour se creuse un trou ★★★ 1/2 Comédie sentimenta­le d’Ara Ball. Avec Robert Naylor, France Castel, Julie Le Breton, Patrice Robitaille. Québec, 2018, 89 minutes.

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STÉPHANE LAVOIE Miron est en pleine félicité au sein d’une union « contre nature ». Laquelle apparaît dans le contexte parfaiteme­nt crédible.Le doigté et la sensibilit­é déployés par le réalisateu­r y est pour quelque chose, mais c’est d’abord imputable au jeu sincère et complice de Robert Naylor.

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