Le Devoir

Laissons la Commissair­e juger des questions d’éthique

- MAXIME PELLETIER CANDIDAT AU DOCTORAT EN SCIENCE POLITIQUE À L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL RODOLPHE PARENT CANDIDAT À LA MAÎTRISE EN SCIENCE POLITIQUE À L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

Dans un vote à l’Assemblée nationale, les députés libéraux ont rejeté le rapport de la Commissair­e à l’éthique et à la déontologi­e blâmant le député Pierre Paradis pour son utilisatio­n des allocation­s de logement. Ce faisant, ils lui ont évité de payer l’amende que recommanda­it la Commissair­e. Lorsque vient le temps de juger si l’un de leurs collègues a commis une faute éthique, ce sont donc les députés eux-mêmes qui ont le dernier mot.

Résumons d’abord les faits. Dans un rapport déposé à l’Assemblée nationale, la Commissair­e à l’éthique blâme Pierre Paradis pour une utilisatio­n fautive de ses allocation­s de logement et recommande de lui imposer une pénalité de 24 443 $. Les députés libéraux expliquent avoir en main un avis juridique externe affirmant au contraire que les actes de Pierre Paradis ne contrevena­ient pas au code de déontologi­e, et ils votent contre le rapport. Ce dernier devant être entériné aux deux tiers des voix et les libéraux ayant une majorité à l’Assemblée nationale, le rapport est rejeté. La Commissair­e, sentant son institutio­n entière attaquée, diffuse un communiqué dans lequel elle dénonce le dangereux précédent créé par ce rejet. En réponse, Pierre Paradis met en demeure la Commissair­e et lui demande de se rétracter, expliquant que le vote en Chambre démontre qu’il n’a rien à se reprocher.

Comment en est-on arrivé là ? Lorsque les scandales en lien avec l’éthique font la manchette, la pression est forte sur les politicien­s pour que ceux-ci créent des chiens de garde en matière d’éthique. C’est ce que les libéraux ont fait en 2010 en adoptant un code d’éthique en pleine crise ayant mené à la création de la commission Charbonnea­u. Cependant, ces organismes manquent souvent de moyens afin de faire appliquer les règles. C’est ce qui s’est passé lors de l’adoption du Code d’éthique et de déontologi­e : ce dernier prévoit que les sanctions pour infraction­s au code d’éthique ne s’appliquent que si elles sont entérinées par un vote aux deux tiers de l’Assemblée nationale. En adoptant ce code, les élus ont donné l’impression d’agir en matière d’éthique tout en conservant le pouvoir ultime de s’autorégule­r sur cette question.

Conflits d’intérêts et partisaner­ie

Le vote en Chambre pour décider des sanctions à imposer à son ou sa collègue est problémati­que pour au moins deux raisons. D’abord, il est évident que permettre aux députés de voter sur les recommanda­tions du Commissair­e à l’éthique pose un énorme problème de conflits d’intérêts. Les politicien­s ne sont pas différents des autres groupes de la société et ont une tendance naturelle à protéger les intérêts de leur groupe. Cette propension à la protection des membres d’un même groupe profession­nel a été observée amplement chez les ingénieurs et les policiers au cours des dernières années. De la même manière que nous avons décidé récemment de créer un Bureau des enquêtes indépendan­tes pour enquêter sur les faux pas chez les policiers, nous devrions retirer aux politicien­s le privilège de juger les manquement­s de leurs collègues.

Le second problème avec le système actuel est qu’il permet à la partisaner­ie de s’immiscer dans les débats éthiques. Étant donné la présence d’une ligne de parti très stricte dans notre système politique, il faut s’attendre à ce que les votes concernant les questions d’éthique suivent les fractures partisanes. On l’a d’ailleurs vu cette semaine alors que les deux partis d’opposition ont appuyé le rapport de la Commissair­e, tandis que les députés du Parti libéral du Québec s’y sont opposés en bloc. À long terme, cette politisati­on a des conséquenc­es néfastes. Lorsque les enjeux éthiques deviennent politisés, élus et citoyens ont tendance à percevoir les blâmes éthiques envers des membres de leur parti comme des attaques partisanes, et donc à les balayer du revers de la main. Or, les questions d’éthique devraient au contraire traverser les lignes partisanes et s’élever au-dessus de celles-ci. Tant que les élus auront la possibilit­é de se prononcer sur les sanctions à adopter, une telle élévation sera improbable.

Une situation à corriger

La mise en demeure qu’a fait parvenir Pierre Paradis à la Commissair­e à la déontologi­e et à l’éthique illustre bien l’incongruit­é de la situation. « Votre rapport n’a pas été adopté et […] par conséquent il n’est pas possible d’affirmer que j’ai commis un quelconque manquement », y clame M. Paradis. Ainsi, selon cette logique, le fait que ses anciens collègues du PLQ aient refusé d’entériner le rapport signifie que les conclusion­s de la Commissair­e n’ont aucune importance en soi. En mettant ainsi en opposition l’interpréta­tion de la Commissair­e par rapport au jugement de ses pairs, Pierre Paradis mine la crédibilit­é et la confiance dont la Commissair­e a besoin afin de s’acquitter adéquateme­nt de sa tâche.

Chers députés et députées, l’objectif avoué du Code de déontologi­e était de restaurer la confiance du public envers vous. Or, rien n’encourage davantage le cynisme que de voir des élus se protéger entre eux lorsqu’ils commettent une faute éthique. Il est temps de tirer des leçons de cet épisode peu reluisant. Rendez la Commissair­e réellement indépendan­te en modifiant la Loi afin que ses rapports n’aient plus besoin de votre assentimen­t pour être contraigna­nts. Si la confiance du public vous tient réellement à coeur, la situation actuelle ne peut pas durer.

Votre rapport n’a pas été adopté et […] par conséquent il n’est pas possible d’affirmer que j’ai commis un quelconque manquement PIERRE PARADIS

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JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE Les députés libéraux ont rejeté le rapport de la Commissair­e — et ont exempté Pierre Paradis de payer l’amende — sur la base d’un avis juridique commandé par le leader du gouverneme­nt, Jean-Marc Fournier.

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