Laissons la Commissaire juger des questions d’éthique
Dans un vote à l’Assemblée nationale, les députés libéraux ont rejeté le rapport de la Commissaire à l’éthique et à la déontologie blâmant le député Pierre Paradis pour son utilisation des allocations de logement. Ce faisant, ils lui ont évité de payer l’amende que recommandait la Commissaire. Lorsque vient le temps de juger si l’un de leurs collègues a commis une faute éthique, ce sont donc les députés eux-mêmes qui ont le dernier mot.
Résumons d’abord les faits. Dans un rapport déposé à l’Assemblée nationale, la Commissaire à l’éthique blâme Pierre Paradis pour une utilisation fautive de ses allocations de logement et recommande de lui imposer une pénalité de 24 443 $. Les députés libéraux expliquent avoir en main un avis juridique externe affirmant au contraire que les actes de Pierre Paradis ne contrevenaient pas au code de déontologie, et ils votent contre le rapport. Ce dernier devant être entériné aux deux tiers des voix et les libéraux ayant une majorité à l’Assemblée nationale, le rapport est rejeté. La Commissaire, sentant son institution entière attaquée, diffuse un communiqué dans lequel elle dénonce le dangereux précédent créé par ce rejet. En réponse, Pierre Paradis met en demeure la Commissaire et lui demande de se rétracter, expliquant que le vote en Chambre démontre qu’il n’a rien à se reprocher.
Comment en est-on arrivé là ? Lorsque les scandales en lien avec l’éthique font la manchette, la pression est forte sur les politiciens pour que ceux-ci créent des chiens de garde en matière d’éthique. C’est ce que les libéraux ont fait en 2010 en adoptant un code d’éthique en pleine crise ayant mené à la création de la commission Charbonneau. Cependant, ces organismes manquent souvent de moyens afin de faire appliquer les règles. C’est ce qui s’est passé lors de l’adoption du Code d’éthique et de déontologie : ce dernier prévoit que les sanctions pour infractions au code d’éthique ne s’appliquent que si elles sont entérinées par un vote aux deux tiers de l’Assemblée nationale. En adoptant ce code, les élus ont donné l’impression d’agir en matière d’éthique tout en conservant le pouvoir ultime de s’autoréguler sur cette question.
Conflits d’intérêts et partisanerie
Le vote en Chambre pour décider des sanctions à imposer à son ou sa collègue est problématique pour au moins deux raisons. D’abord, il est évident que permettre aux députés de voter sur les recommandations du Commissaire à l’éthique pose un énorme problème de conflits d’intérêts. Les politiciens ne sont pas différents des autres groupes de la société et ont une tendance naturelle à protéger les intérêts de leur groupe. Cette propension à la protection des membres d’un même groupe professionnel a été observée amplement chez les ingénieurs et les policiers au cours des dernières années. De la même manière que nous avons décidé récemment de créer un Bureau des enquêtes indépendantes pour enquêter sur les faux pas chez les policiers, nous devrions retirer aux politiciens le privilège de juger les manquements de leurs collègues.
Le second problème avec le système actuel est qu’il permet à la partisanerie de s’immiscer dans les débats éthiques. Étant donné la présence d’une ligne de parti très stricte dans notre système politique, il faut s’attendre à ce que les votes concernant les questions d’éthique suivent les fractures partisanes. On l’a d’ailleurs vu cette semaine alors que les deux partis d’opposition ont appuyé le rapport de la Commissaire, tandis que les députés du Parti libéral du Québec s’y sont opposés en bloc. À long terme, cette politisation a des conséquences néfastes. Lorsque les enjeux éthiques deviennent politisés, élus et citoyens ont tendance à percevoir les blâmes éthiques envers des membres de leur parti comme des attaques partisanes, et donc à les balayer du revers de la main. Or, les questions d’éthique devraient au contraire traverser les lignes partisanes et s’élever au-dessus de celles-ci. Tant que les élus auront la possibilité de se prononcer sur les sanctions à adopter, une telle élévation sera improbable.
Une situation à corriger
La mise en demeure qu’a fait parvenir Pierre Paradis à la Commissaire à la déontologie et à l’éthique illustre bien l’incongruité de la situation. « Votre rapport n’a pas été adopté et […] par conséquent il n’est pas possible d’affirmer que j’ai commis un quelconque manquement », y clame M. Paradis. Ainsi, selon cette logique, le fait que ses anciens collègues du PLQ aient refusé d’entériner le rapport signifie que les conclusions de la Commissaire n’ont aucune importance en soi. En mettant ainsi en opposition l’interprétation de la Commissaire par rapport au jugement de ses pairs, Pierre Paradis mine la crédibilité et la confiance dont la Commissaire a besoin afin de s’acquitter adéquatement de sa tâche.
Chers députés et députées, l’objectif avoué du Code de déontologie était de restaurer la confiance du public envers vous. Or, rien n’encourage davantage le cynisme que de voir des élus se protéger entre eux lorsqu’ils commettent une faute éthique. Il est temps de tirer des leçons de cet épisode peu reluisant. Rendez la Commissaire réellement indépendante en modifiant la Loi afin que ses rapports n’aient plus besoin de votre assentiment pour être contraignants. Si la confiance du public vous tient réellement à coeur, la situation actuelle ne peut pas durer.
Votre rapport n’a pas été adopté et […] par conséquent il n’est pas possible d’affirmer que j’ai commis un quelconque manquement PIERRE PARADIS